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VOCABULAIRE AEGIS, ATTRIBUT PROPHYLACTIQUE
OU ICONOGRAPHIQUE DU BUSTE ROMAIN ?

Dans la Live Auction du 23 septembre 2025, un aureus de Trajan a retenu notre attention à cause de son buste avec une égide bien particulière. Nous allons essayer de voir quand ce symbole fait son apparition sur le portrait romain, la mission qu’il remplit et sa pérennité jusqu’à sa disparition. Mais avant toute chose, il est nécessaire de rappeler son origine et à quel mythe il est lié.
L’égide (Ægis, Aιγισ) signifie littéralement « peau de chèvre », puis manteau protecteur. L’égide est associée à Athéna (Minerve), posée sur sa poitrine ou sur son bouclier et qui abritait sous sa protection ceux qu’elle voulait protéger. Par extension, elle désigne la cuirasse d’une divinité. C’est ainsi qu’elle est représentée dans la statuaire gréco-romaine. Faut-il rappeler que Jupiter, enfant, fut nourri et protégé par la chèvre Amalthée. Manteau qui protège les deux côtés du corps, elle est refermée généralement par une tête de Méduse, l’une des trois Gorgones qui a été éliminée par Persée, grâce aux conseils d’Athéna et qui était censée statufier quiconque osait la regarder. Les souverains hellénistiques, puis les empereurs romains s’emparèrent de ce symbole et le placèrent sur leur cuirasse, leur attribuant ainsi un signe du caractère de l’autorité divine qu’ils étaient censés détenir et en faisaient les protecteurs de leurs peuples.
Pour notre sujet, l’égide sur les monnaies romaines, nous ne pouvons pas évoquer le sujet sans faire référence à l’ouvrage fondateur de Pierre Bastien, Le Buste monétaire des empereurs romains, NR XIX, 3 vol., Wetteren, 1993, où au début du deuxième volume, débutant par les empereurs, dans une troisième partie, il aborde les attributs du buste, en commençant au chapitre I par l’égide et le Gorgonéion (vol. II, p. 341-367). L’auteur y aborde tous les aspects de ce symbole qui se trouve placé comme attribut, comme vêtement complet, placé directement sur le buste ou en surplus de la cuirasse. Pierre Bastien évoque alors les termes de « grande » ou de « moyenne égide ». Il reste une catégorie, « la petite égide » (p. 366-367, fig a1 et a2, b et c) qui constitue le cœur de notre sujet. Si les deux premiers cas sont souvent constitués par le seul Gorgoneion, orné de têtes de serpents, placés sur l’épaule nue, à la point du cou (O*4) pour les bustes laurés à droite ou (O*5) pour ceux qui le sont à gauche. C’est le type classique et le plus courant. Nous avons avec notre aureus de Trajan un type beaucoup plus rare, « la petite égide de type b » qui couvre à la fois la pointe du cou, mais est aussi visible derrière le cou, comme posée sur le buste (fig. b) qui le plus souvent n’est pas signalée dans les ouvrages de référence ou les catalogues de vente. C’est le cas qui nous intéresse ici pour notre pièce qui présente un aureus du début du règne de Trajan.
Aureus, Rome, 102, 7e ém., 1re officine
(Or, 7,21 g, Ø 19 mm, 7 h, ± 980 ‰) taille au 1/45 L. poids théorique : 7,22 g, 25 deniers, ratio théorique 1 : 12, en fait 1/ 10,5.

A/ IMP CAES NERVA TRAIAN – AVG GERM
« Imperator Cæsar Nerva Traianus Augustus Germanicus », (L'empereur césar Nerva Trajan auguste germanique).
Buste lauré à droite avec l’égide sur l’épaule gauche (O*4).
R/ P. M. TR. P. – COS. IIII. P. P.
« Pontifex Maximus Tribunicia Potestate Consul Quartum Pater Patriæ » (Grand pontife, revêtu de la puissance tribunitienne, consul pour la quatrième fois, père de la patrie).
Statue d’Hercule de face, tenant de la main droite la massue et de la gauche la léonté.
C II/ 43, 232 – RIC II/ 248, 50 – BMC III/ 42, 81 – Hill 123 – Calico I/ 214, 1053 MIR 14/ 239, 99c, pl. 15
Monnaie idéalement centrée des deux côtés. Joli buste de Trajan, bien venu à la frappe et détaillé. Revers agréable. Patine de collection.
Très rare. TTB+ 4 600€/ 7 000€
Monnaie montée anciennement. Au droit, notre aureus présente une égide couvrant les deux parties du cou dite « petite égide » (fig. b) selon la classification du docteur Pierre Bastien. La tête présente encore les traits « durcis » des émissions précédentes et qui vont se modifier ensuite. Début de cassure de coin perceptible au niveau du nez et du menton. Césure de légende d’avers inhabituelle et qui semble particulièrement rare, TRAIAN au lieu de TRA-IAN. Nous n’avons pas relevé d’identité de coin de droit avec les différents ouvrages ainsi que les trésors de Liberchies (B) et de Trèves (D). Légende totalement ponctuée au revers avec point séparatif. Même coin de revers que l’exemplaire de la vente NAC 34, n° 351 buste (A*01) et que l’exemplaire reproduit dans l’ouvrage de Calico I/ 215, 1054
Le revers de notre aureus représente une statue d’Hercule Invaincu qui se trouvait sur l’Ara Maximus (Regio XI du Circus Maximus). Il existe encore aujourd’hui une statue d’Hercule Victor, exposée au Palais des Conservateurs, qui provient du Forum Boarium, comparable à notre pièce.
Avec cet aureus de Trajan, nous avons découvert l’importance d’examiner scrupuleusement l’ensemble des caractéristiques d’une monnaie qui repose sur la représentation d’un détail, en l’occurrence, l’égide dans le cas présent et qui nous permet de redécouvrir un symbole important de la panoplie au service de l’iconographie impériale. Son choix n’est pas anodin, au moment où Trajan entame la première guerre Dacique. En poussant plus loin l’étude et le raisonnement, cette pièce met l’accent sur un point que nous n’avions pas noté au départ, mais qui a ici son importance, la césure de la légende de droit qui est tout à fait exceptionnelle pour notre aureus et en rehausse l’intérêt et la rareté !
Marie BRILLANT & Laurent SCHMITT