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UNE MONNAIE SPÉCIFIQUE RÉVÉLÉE PAR LES ARCHIVES

| 13/01/2021
Informations

UNE MONNAIE SPÉCIFIQUE RÉVÉLÉE PAR LES ARCHIVES :
LA PIÈCE DE 30 SOLS D’ARGENT DE LOUIS XIV,
FRAPPÉE À BOURGES DE 1658 À 1662

Appelée souvent improprement « demi-écu » alors qu’il n’existe pas d’écu, cette pièce frappée isolément ne s’inscrit pas dans la série de l’écu blanc (60 sols) avec ses divisions de 30, 15 et 5 sols : elle est seule de son état et elle ne montre ni le portrait dit « à la mèche longue » ni le portrait dit « au buste juvénile ».

Dans la collection Paul Bordeaux vendue en 1927 figurait un exemplaire (n° 1238) de cette pièce très particulière de Bourges, au millésime 1659. Bien que signalée comme « inédite » du fait qu’elle avait échappé à l’attention des auteurs de référence (Bessy-Journet 1850, Hoffmann 1878, Ciani 1926), elle ne fut pas étudiée. En 1947, Paul Lafolie en présenta un autre exemplaire, millésimé 1658, à la Société française de numismatique (BSFN, 1947, p. 97) mais il n’en fut tiré aucune conclusion malgré une intervention intéressante de Pierre Prieur concernant cette pièce.

Dans les années 1970, Robert Victoor et Félix Couchard publièrent d’autres exemplaires de cette pièce dans Numismatique et Change (n° 31, juin 1975 puis n° 55, septembre 1977) en les accompagnant de commentaires parfois fantaisistes. Enfin, après une apparition d’un exemplaire au millésime 1661 dans la collection Montalant (vente Vinchon, décembre 1977, n° 254) classé par erreur à Troyes d’après une expertise de F. Droulers, la pièce fut publiée dans le Gadoury-Droulers blanc de 1978 (n° 173) avec cette mention : « 1/2 écus, type hybride […] l’avers de cette pièce est assez proche du lis d’argent, mais la chevelure est plus fournie, le drapé un peu différent et le module de la pièce plus large. Ce type est spécifique à Bourges ».

Quarante ans plus tard, on peut lire dans l’édition 2018 du Gadoury blanc (5e édition), sous le titre « 1/2 écu de Bourges », la même mention qui n’a pas changé. Entre-temps, l’étude des archives a permis de découvrir les motifs de la frappe de cette monnaie ainsi que les raisons de ses caractéristiques particulières, rejetant dans l’oubli les spéculations intellectuelles de R. Victoor, F. Couchard et autres, totalement fausses et ne présentant de ce fait aucun intérêt.

L’apport des archives
Il est considérable car il permet de reconstituer la genèse de la fabrication de la pièce. Le contenu des boîtes 413, 414 et 415 de la sous-série Z1b est révélateur. En février 1657, la Monnaie de Bourges est tombée en chômage. En juillet 1658, un certain Jean Chailloux est commis par la Cour des monnaies, suite à une inspection de celle-ci, pour reprendre le travail dans cet atelier de petite importance. Chailloux choisit alors pour différent un caillou qui correspond à son nom, caillou se disant en berrychon « chaillou ». [NDLR, en patois poitevin, une pierre ou un caillou est une « chaille »].

Chailloux constate rapidement que l’office de graveur est vacant et qu’il ne peut trouver un graveur de substitution parmi les orfèvres de la ville. Il s’adresse alors à la Cour des monnaies pour obtenir de Paris la délivrance de poinçons et de carrés entièrement gravés pour suppléer à l’absence du graveur. Le registre Z1b 348A fait ainsi connaître que Dufour, graveur particulier de la Monnaie de Paris, fournit alors des carrés à Chailloux.

À ce moment, les ateliers monétaires en activité dans le royaume fabriquent des pièces de 30 sols avec l’effigie de Louis XIV enfant, dite « à la mèche longue » créée en 1646 - et donc obsolète ? Dufour choisit de graver pour Bourges une pièce de 30 sols montrant un portrait inédit. Il s’inspire du portrait figurant sur le lys d’argent créé deux ans plus tôt, en 1656, par Jean Warin et qui n’a eu qu’une durée de vie très éphémère de quelques mois. Le portrait fourni par Dufour, pour la pièce de 30 sols de Bourges, est bien une imitation du portrait du lys d’argent de 1656 de Warin.

L’inexpérience de Chailloux et de ses monnayeurs entraîne plusieurs fois la cassure des coins et oblige Dufour à fournir plusieurs fois des carrés (cf. Registre AN, Z1b 348A) jusqu’au début de mars 1659. Dans la deuxième quinzaine de mars 1659 a lieu la remise d’un nouveau carré d’effigie : cette fois il n’est pas de Dufour mais de Warin lui-même et montre un portrait classique de Louis XIV dit au buste juvénile. Cette remise de carrés, venus de Paris, est la dernière.

En 1660, Chailloux étant toujours commis, Paris ne fournit plus de carrés. Chailloux fait alors appel à un graveur local qui réalise une affreuse monnaie qui montre toutes les apparences d’un faux. Cette situation ne pouvait perdurer en raison de l’activité du célèbre faussaire Thomas Mosnier, condamné à mort et pendu en 1654. On décide alors de reprendre des coins anciens de 1658-1659 et de les regraver en vue d’une nouvelle utilisation. On relève ainsi la présence d’un certain nombre d’exemplaires, aux millésimes 1661 et 1662 : on peut d’ailleurs y constater l’évolution du travail du graveur, d’un millésime à l’autre.

En mai 1662, l’attribution du bail général des monnaies de France à Denis Genisseau entraîne la fermeture de la Monnaie de Bourges. Elle ne sera rouverte qu’à l’occasion de la première réformation (décembre 1689).

En 1663 une enquête relative à la Monnaie de Bourges est menée à l’initiative de la Cour des monnaies qui rend un arrêt le 19 mars. Warin a déclaré à la Cour que des louis d’or avaient été fabriqués à partir d’un poinçon raccommodé sur un de ses poinçons et que les pièces de 30 sols n’avaient pas été gravées par ses soins.

Telle est l’histoire de la pièce de 30 sols de Bourges, comme nous la connaissons aujourd’hui depuis ma communication aux Journées numismatiques de Bourges en 2012 (BSFN, juin 2012, p. 189-196). Sans les archives, nous en serions encore aux spéculations de R. Victoor, F. Couchard et autres des années 1970.

La connaissance et la maîtrise des archives sont ainsi déterminantes dans la connaissance exacte et précise des monnaies de la période Louis XIII-Louis XVI. Sans le recours aux archives, on peut être amené à écrire n’importe quoi, à mélanger constamment le vrai et le faux.

Je dédie le présent article à mon ami Arnaud CLAIRAND qui travaille depuis plus de 25 ans dans les archives. Son prochain ouvrage, tellement attendu, doit nous livrer enfin le résultat de ses investigations. Je ne doute pas une seconde qu’il sera passionnant et qu’il renouvellera entièrement, grâce à l’exploitation des archives, la connaissance que nous avons jusqu’à présent des monnaies des XVIIe et XVIIIe siècles, si passionnantes à découvrir et à étudier.

Christian CHARLET.

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