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UN FAUX ÉCU ET LES VRAIS ÉCUS DE LOUIS XIV

| 11/09/2025
Informations

UN FAUX ÉCU ET LES VRAIS ÉCUS DE LOUIS XIV
FRAPPÉS À SAINT-PALAIS (NAVARRE)
AU BUSTE JUVÉNILE DIT « APPOLLONIEN »1 DE 1664 À 1671

Les interminables travaux effectués chez moi depuis 18 mois m’ont permis de retrouver quelques monnaies dont le rarissime écu de 1665 aux différents A et D (2 ex. connus dont un non localisé) ainsi que de nombreux documents concernant la numismatique. Parmi ceux-ci, des photographies que m’avait envoyées un collectionneur il y a longtemps et que j’avais totalement oubliées. Elles concernent un écu de Navarre au buste juvénile dit « apollonien » au millésime 1663 inédit et unique car aucune fabrication n’était connue pour ce millésime (fig.1).


fig.1

En effet, fermé fin 1662 à l’initiative de Colbert (bail de Génisseau de mai 1662), l’atelier de Saint-Palais ne devait rouvrir qu’en 1664 en vertu de l’arrêt rendu le 10 novembre 1663 par le Conseil d’Etat du roi ordonnant la réouverture de la monnaie de Saint-Palais2. Cet arrêt ne fut en réalité exécuté qu’après son enregistrement par la Chambre des Comptes de Pau en mai 1664 et, dans l’attente de cet enregistrement, l’atelier demeura fermé. C’est pourquoi la série de Navarre au buste juvénile dit « apollonien » ne commence qu’en 1664 et pas avant le milieu de l’année. Les photos que le collectionneur m’a envoyées concernent donc une fausse pièce. D’ailleurs plusieurs preuves montrent que cette pièce est un faux.

Non seulement le millésime 1663 ne peut exister pour un écu de Navarre au buste juvénile dit « apollonien » mais la photo montre l’association avec un revers de Saint-Palais (à l’écusson de France-Navarre) d’un buste appartenant à une frappe d’un des six ateliers du royaume (Paris, Rouen, Bayonne, Rennes, Aix) autorisés à fonctionner. Ainsi a-t-on pu associer un avers de Bayonne avec un revers de Saint-Palais.

1- La supercherie la plus simple consiste à photographier un avers de Bayonne (ou d’un autre des 6 ateliers) et un revers de Saint-Palais et à faire circuler ensuite la photo en affirmant qu’il s’agit d’une seule monnaie. La supercherie est grossière mais on sait qu’avec des photos on peut tout faire. On le constate d’ailleurs sur certains catalogues associant des avers et des revers de monnaies différentes en laissant croire qu’il s’agit d’une seule monnaie.

2- On peut fabriquer cette monnaie fausse en coupant les deux exemplaires et en collant ensuite l’avers d’un atelier du royaume avec le revers de Saint-Palais. Ce procédé de fabrication de fausse monnaie est bien connu pour les écus d’argent de Louis XV aux trois couronnes au millésime 1715. Un certain nombre de ces écus rarissimes sont des faux, collés ou soudés, en associant un avers du tout jeune Louis XV à un revers d’écu Louis XIV aux trois couronnes. Ensuite on trafique la tranche pour faire disparaître toute trace du collage ou de la soudure. Pour une monnaie de 1663 c’est encore plus facile puisqu’il n’y avait à cette date aucune inscription ni aucune cannelure sur les tranches. Nous sommes donc bien en présence d’un faux fabriqué à partir de 2 monnaies totalement différentes. Mais, en outre, un examen détaillé de la photo du revers montre que le millésime 1663 a été trafiqué ainsi que le différent qui suit ce millésime.

3- L’examen du millésime montre que l’on est en présence d’un millésime 1653, corrigé en 1663. En effet, le second 6 du millésime a été obtenu à partir d’un 5 corrigé. On distingue très bien le 5 tel qu’il figurait sur les écus de Saint-Palais au millésime 1653. Puis ce 5 a été habilement refermé (travail d’orfèvre) par adjonction d’une petite boucle pour donner un 6. On voit très bien que ce second 6 est totalement différent du premier. Puisqu’une petite boucle ou un petit croissant a été ajouté au 5 pour en faire un 6, la qualité de ce travail permet de considérer que l’hypothèse 2 ci-dessus est plausible, à savoir la juxtaposition par collage ou soudure d’un avers d’écu du royaume de 1662-1663 avec un revers de Saint-Palais 1653 transformé frauduleusement en 1663.

Ce n’est pas tout. Outre le millésime 1653 transformé en 1663, on a également trafiqué le différent qui suit ce millésime. En 1664 et 1665, sur les exemplaires authentiques, ce différent est une tour, marque du graveur parisien Dufour, assistant de Warin, qui fut chargé par la Cour des monnaies de fournir à Saint-Palais les poinçons et matrices nécessaires au monnayage, comme cela avait été le cas pour Pau en 16633. Or ici, sur cet exemplaire 1653/1663 trafiqué, on constate que le différent de 1653, à savoir un cœur renversé, a été trafiqué afin de ressembler à une tour écrasée.

C’est pourquoi, compte tenu de toutes les observations qui précèdent, cet écu au buste juvénile dit « apollonien » est un faux moderne, trafiqué avec des techniques modernes par un faussaire désireux de le faire passer pour une monnaie unique. L’ouvrage Les monnaies des quatre rois Louis indique l’existence de « faux d’époque » pour des écus au millésime 1663, ateliers de Toulouse et de Nantes, qui étaient alors fermés4. S’agit-il vraiment de faux d’époque ou bien d’autres faux crées par le faussaire de cette monnaie 1653/1663 de Saint-Palais ? On peut se le demander5.

LES VRAIS ÉCUS DE SAINT-PALAIS AU BUSTE JUVÉNILE DIT « APOLLINIEN »

Les collectionneurs ont pu acquérir ceux que j’avais patiemment réunis en 60 ans, série presque complète comprenant les millésimes 1664 (avec RE. DB et la Tour) 1665 avec REX et la Tour, 1665 avec D et A (2 ex. connus dont celui-ci, l’autre non retrouvé) et un exemplaire de chaque millésime de 1667 à 1671, soit 8 exemplaires variés au total qui ont été presque tous vendus par Cgb.fr à des prix modiques pour les collectionneurs, mon ami Arnaud n’ayant pas été très généreux pour les cotations, ces écus de Saint-Palais ayant été estimés au même prix que ceux de Pau alors qu’ils sont beaucoup plus rares6.

Si je reprends le catalogue des écus de Saint-Palais au buste juvénile dit apollinien frappés de 1664 à 16717 que j’ai publié en 2014 et qu’Arnaud a repris dans son ouvrage, il est possible aujourd’hui de le mettre à jour comme suit :

1re émission 1664-1665 avec RE. DB, Tour à l’avers et S barré au revers

- 1664 (cf. mon exemplaire, vente Cgb)
La tour est le différent de Dufour qui a gravé les coins de la pièce. D’où l’erreur RE. DB provenant du fait qu’il a pris pour modèle l’écu destiné à Pau qu’il a gravé un peu plus tôt. Une dizaine d’exemplaires au maximum sont aujourd’hui connus.

- 1665. Très rare. Quelques exemplaires connus, le premier publié avec commentaires par G. Sobin dans son ouvrage The Silver Crowns of France 1974 p.122 (collection Wayte Raymond vendue à Londres en 1963, ensuite collection Montalant vente Vinchon 1977)8. Autre exemplaire récent, vente MDC n° 15, octobre 2024, n°796 et autre MDC n°10, octobre 2022, n°405.

2e émission 1665 avec NA. REX sans DB avec Tour et S barré au revers

- 1665 avec 5 normal (cf. mon exemplaire, vente CGB juin 2025, n°1015511). Variété connue à 2 exemplaires seulement, unique si l’ont tient compte du fait que l’autre qui suit montre un 5 écrasé.
- 1665 avec 5 normal mais écrasé créant une confusion avec un 6, confusion qui m’a induit en erreur pendant plusieurs années (cf. BSFN Journées numismatiques de Toulouse juin 1993 et Revue numismatique 1997 avec Fernand Arbez)9. L’écrasement provient sans doute du fait que le poinçon du 5 a dû se fouler lors de son insculpation dans le carré10 de la pièce.

3e émission 1665 avec NA. REX sans DB ni tour ni S barré, remplacés par les lettres D et A.

Pièce connue à 2 exemplaires seulement dont un différent de l’autre, connu uniquement en photo et non localisé (photo fournie par Francesco Pastrone il y a une vingtaine d’année, fig.2).


fig.2

Cette monnaie est postérieure à celle du Cabinet des médailles au 5 écrasé. Ne disposant pas d’un autre poinçon du 5, on a utilisé les poinçons de chiffres (1665) de la série précédente 1652-1662 (cf. le 5 transformé en 6 du faux étudié plus haut). Dans le même temps, on a remplacé les deux différents : la tour de Dufour par la lettre D (son initiale ?) et le S barré du différent du commis par un A (initiale d’Arripe ? ou d’Allerie ?) (fig. 3).


fig. 3

Les archives de la Chambre des Comptes de Pau sont muettes concernant cette fabrication que j’ai étudiée11. Il est possible que le commis et le graveur de Saint-Palais, obligés d’utiliser les poinçons antérieurs pour insculper le millésime n’aient pas voulu que cette modification apparaisse sur une monnaie ayant conservé les différents Tour (Dufour) et S barré (commis) d’où leur remplacement par des lettres.

4e émission 1666-1669 avec NA. REX et différent coeur12

Ces écus sont alors frappés durant la régie générale de Claude Thomas. Il n’y eut sans doute pas de fabrication en 1666 car aucun exemplaire n’a été retrouvé à ce millésime. Mon exemplaire 1667 figure dans la vente Cgb.fr de septembre 2023 n°848026. Celui de 1668 dans la vente Cgb.fr du 7 mars 2023, n°800431, celui de 1669 dans la vente Cgb.fr du 6 juin 2023 n°826061.

Les exemplaires de l’année 1669 sont très rares, on n’en connaît que 3 ou 4 exemplaires13. Sobin n’avait pas rencontré ce millésime et on ne connaît pas le chiffre de fabrication pour cette année car il ne figure pas dans les archives de la régie rénérale de Claude Thomas étudiée par Fernand Arbez (RN 1996).

5e émission 1670-1671 avec NA. REX et différent étoile

14Les deux millésimes sont connus en plusieurs exemplaires. George Sobin a publié dans son ouvrage de 1974 précité le nombre d’exemplaires qu’il a recensés (voir tableaux p.44/A et 44/B p.235).

Dans son étude sur la monnaie de Béarn (RN 1959-1960), Françoise Dumas signale un incident survenu à la Monnaie de Saint-Palais fin 1671 qui aurait occasionné sa fermeture temporaire. D’où l’utilisation de nouveaux carrés en 1672 avec notamment la nouvelle effigie de Louis XIV à la cravate.

Christian CHARLET

BIBLIOGRAPHIE

ARBEZ, CHARLET 1997 : Fernand ARBEZ, Christian CHARLET, Fermeture et réouverture des monnaies de Navarre et Béarn en 1662-1663, Revue numismatique, 1997, pp.223-264

CHARLET 2014 : Christian CHARLET, Les monnaies béarnaises de Louis XIV (II), Revue numismatique, 2014, pp.549-630


  1. 1 Ce terme, choisi par mon ami Arnaud Clairand, est exact car Louis XIV à l’époque était systématiquement représenté en Apollon. Mais il est vrai également qu’à 24 ans en 1662 (date de création de l’écu) son buste était juvénile. D’où mon compromis entre la nouvelle (Arnaud) et l’ancienne appellation (XIXe siècle).

  2. 2 Cf. CHARLET 2014 p.553-554 et, pour plus de détails voir ARBEZ, CHARLET 1997 p.223-264.

  3. 3 Cf. CHARLET 2014 p.553-554.

  4. 4 Editions Monnaies d’Antan, 2011, p.286.

  5. 5 Je signale également le faux écu deSaint-Palais à la cravate 1672 de la collection Chaurand, retiré de la vente en 20. Il était trafiqué de la même manière mais grossièrement : un écu à la cravate du royaume, associé à un écu de Saint-Palais appartenant à la série mèche longue 1652-1662.

  6. 6 Arnaud m’a confié qu’il comptait revoir cette estimation insuffisante dans la prochaine édition de son ouvrage.

  7. 7 CHARLET 2014, pp.604-605.

  8. 8 Appréciation très perspicace de Sobin, recommandée. Il a vu le premier l’anomalie DB et authentifié la tour de Dufour.

  9. 9 Cet exemplaire, variété unique, est conservé au Cabinet des Médailles de la BnF. Sa photo figure dans la RN, 2014 p.621, photo 1a.

  10. 10 On appelle carrés les coins destinés à la fabrication mécanique au balancier.

  11. 11 CHARLET 2014 (RN p.605 et photo p.621, 1b et BSFN avril 2007)

  12. 12 Indiqué par F. Arbez (RN 1996) Jean Darmaignan, commis du fermier général Genisseau

  13. 13 Deux seulement connus en 2014.

  14. 14 Indiqué par F. Arbez (RN 1996) : François Le Noir

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