TRIHÉMISTATÈRE DE CARTHAGE : IL NOUS A TAPÉ DANS L’ŒIL !

Il est rare de voir proposer dans une même vente deux types différents du monnayage d’or ou d’électrum carthaginois, en plus des types plutôt rares : un statère d’or et un trihémistatère en électrum. Nous avons déjà donné les caractéristiques du statère d’or et nous voudrions maintenant aborder celles de l’exemplaire proposé à la vente. La dénomination est inhabituelle, frappée sur un étalon punique ou phénicien avec un shekel d’une masse moyenne de 7,20 g, soit environ 10,80 g pour le trihémistatère, ou trois demi-statères, 1,5 shekel ou un tridrachme, dénomination plutôt rare dans la numismatique grecque, mais pas exceptionnelle pour le monnayage carthaginois.

Si droit et revers sont conformes aux canons des modèles puniques avec la tête de Tanit au droit, tournée à gauche, coiffée d’une couronne d’épis et qui se caractérise pour cette émission (classe Xa) par un pointillé dans la couronne d’épis que l’on ne retrouve pas dans la seconde partie de l’émission (classe Xb) et qui ne peut être reconnu que sur les exemplaires les mieux conservés, ce qui est le cas du nôtre, c’est bien le revers qui focalise toute notre attention. Ce n’est pas le cheval qui est classique dans sa représentation, mais le symbole qui se trouve placé au-dessus de la croupe de celui-ci qui attire notre regard. Un uraeus (gr. ouraios) est la transcription du mot égyptien drd qui est un serpent venimeux (aspic, hajé, nommé aussi chez les Grecs basiliscon, βασιλισκον) adoré des Égyptiens. Il est représenté, dressé sur sa queue, enroulée en anneaux et portant sur la tête un disque solaire qui le fait identifier comme un des emblèmes du soleil. Il est aussi l’attribut de la royauté. À ce titre, il orne la coiffure de Pharaon. Quand il est placé sur le signe appelé, « corbeille » il signifie la domination, ce qui est le cas sur notre pièce. Que fait un symbole égyptien sur une monnaie punique ? L’empire carthaginois, centré sur la Tunisie actuelle, étendait son contrôle jusqu’aux portes de la Libye (Cyrénaïque antique) et se trouvait ainsi au contact de la civilisation égyptienne.

ZEUGITANE - CARTHAGE (264-201 avant J.-C.)

Carthage fut fondée en 814 avant J.-C., selon la tradition par des colons de Tyr. Virgile a immortalisé le conflit mortel qui devait opposer Carthage et Rome dans l'Énéide, mettant en scène Énée, qui souhaitait se rendre en Italie, et la reine de Carthage, Didon, qui voulait le retenir auprès de lui. Avant de se suicider après son départ, elle aurait lancé la malédiction qui devait peser sur Rome et Carthage jusqu'à la destruction de la seconde par la première en 146 avant J.-C.

De nombreux différends opposaient déjà Rome et Carthage quand la première guerre Punique éclate en 264 avant J.-C. L’enjeu est la domination de la Méditerranée Occidentale et du commerce maritime. Rome est l’alliée de Hiéron de Syracuse. Les Romains remportent la victoire navale de Myles en 260 avant J.-C. La victoire d’Ecnome, l’année suivante, permet aux Romains de débarquer en Afrique, mais Régulus est battu et tué. Hamilcar Barca se livre à une guérilla sans merci dans les dix années qui suivent. Finalement, la flotte romaine écrase la flotte carthaginoise aux Îles Égates en 241 avant J.-C. Carthage renonce à la Sicile et doit payer une indemnité de 3.200 talents. Les années suivantes sont marquées par la conquête de la Sardaigne et de la Corse en 238 avant J.-C. Les Barca avec Hasdrubal, puis avec Hannibal, fils d’Hamilcar, organisent la conquête de l’Espagne et la fondation de Carthago Nova. La deuxième guerre Punique débute en 218 avant J.-C., après la prise de Sagonte et le refus de Carthage de livrer Hannibal aux Romains. Hannibal avec 50 000 hommes franchit les Pyrénées et les Alpes. Il écrase les armées romaines à La Trébie en 218 avant J.-C., au Lac Trasimène en 217 avant J.-C. Les Romains sont balayés à Cannes le 2 août 216 avant J.-C. 80 000 Romains et le consul Paul-Émile y trouvent la mort. La route de Rome est ouverte, mais Hannibal ne marche pas sur la ville et s’installe en Italie du Sud. En 212, il prend Tarente et rallie les villes d’Italie du Sud, tandis que Marcellus s’empare de Syracuse (mort d’Archimède). Les Romains prennent Capoue en 211 avant J.-C. Scipion l’Africain s’empare de Carthago Nova, mais ne peut empêcher Hasdrubal de passer en Italie. Ce dernier trouve la mort à la bataille du Métaure en 207 avant J.-C. Scipion porte alors la guerre en Afrique en 204 avant J.-C., ce qui oblige les Carthaginois à rappeler Hannibal. Les Carthaginois sont battus à Zama en 202 avant J.-C. et demandent alors la paix, l’année suivante.

Trihémistatère, ou 11/2 shekel ou tridrachme en électrum, Zeugitane, Carthage, 264-241 avant J.-C., classe Xa
(El, 10,50 g, 22,50 mm, 12 h, ± 450 ‰) étalon punique ou phénicien, poids théorique : 10,80 g

A/ Anépigraphe
Tête de Tanit à gauche, couronnée d’épis.

R/ Anépigraphe
Cheval debout à droite ; au-dessus un disque solaire entre deux serpents (uraeus).

Müller 65 - GC 6476 (1200£) - SNG Copenhague 996 - JL 419, pl. 20 - A 32, pl. 1

Petits graffiti dans le champ du revers entre les jambes du cheval. Très belle monnaie sur un flan idéalement centré des deux côtés. Revers de style fin. Joli portrait de Tanit. De légères griffures dans les champs au revers. Patine de collection.

Très rare. SUP   3 500€ / 6 000€

Traces sur la tranche. Au revers le disque solaire est orné de six rais au-dessus et de cinq rais au-dessous. Ce trihémistatère dont au moins huit variétés différentes ont été isolées pour le groupe Xa par G. K Jenkins er R. B. Lewis, Carthagian Gold and Electrum Coins, RNS, NS 2, London, 1963, p. 111-113, pl. 19 et 20 se caractérise sur notre exemplaire par un début de double ligne d’exergue dans la ligne de sol, trois petits globules avant l’antérieur gauche et un autre entre les antérieurs. Avec cette particularité, les auteurs avaient recensé seulement trois exemplaires (JL n° 419-421, pl. 20) sans liaison de coin pertinente.

Pour le groupe Xa, les auteurs du Carthagian Gold and Electrum coins ont répertorié quarante pièces pour ce groupe avec trente-huit coins de droit et trente-huit de revers avec vingt-huit combinaisons. Pour le groupe Xa, le poids semble plus élevé avec une classe modale à 10,80 g et dix neuf pièces avec un poids compris entre 10,85 g et 11,00 g et un taux de fin de 45 et 50% environ d’or.

En trois décennies, nous n’avons eu l’occasion de vous soumettre que quatre exemplaires en comptant celui-ci. Ne ratez pas cette opportunité d’acquérir un exemplaire finement détaillé et parfaitement identifié.

Marie BRILLANT & Laurent SCHMITT