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SOUVENIRS MÉTALLIQUES DE SALAÜN AR FOLL

| 02/09/2020
Informations

Il y a quelques temps, un brocanteur mayennais eut la bonne fortune de découvrir dans un meuble de métier, déniché dans une ancienne usine, le fonds d’atelier d’un fabricant de ces innombrables petites médailles religieuses, souvent en aluminium, vendues en nombre aux pèlerins venus témoigner leur foi dans quelque haut lieu miraculeux. C’est d’ailleurs de là que ces petits objets de dévotion tirent leur nom de médailles miraculeuses. Généralement pourvues d’une bélière, ces médailles étaient volontiers accrochées au chapelet de prières. Malheureusement, il ne nous a pas été possible d’identifier l’entreprise en question1, mais on peut cependant en dater sans mal l’activité des années 1870 à 1920 environ.

L’ensemble comprenait plus de deux cents outillages comme des coins et surtout des poinçons. Rappelons que les poinçons sont des matrices métalliques, souvent uniques, portant des motifs gravés en relief par taille directe devant être insculpés, c’est-à-dire imprimés en creux, dans les futurs coins. Cette étape, appelée enfonçage, est indispensable pour la création du coin qui, lui, servira à la frappe. Parmi ces poinçons, les portraits du Christ, de la Vierge Marie et de Jeanne d’Arc se comptaient par dizaines. Il y avait aussi beaucoup de vues d’édifices comme les sanctuaires de Lourdes, Lisieux et Sainte-Anne d’Auray ou encore le Mont-Saint-Michel. La majorité de ces poinçons était anonyme, mais certains étaient signés de grands noms tels Armand Auguste Caqué (1795-1881), Émile Dropsy (1846-1923) et Georges Pelletier-Doisy (1892-1953), tous célèbres graveurs en médailles.


Figure 1
Poinçon en acier représentant le miracle de Salaün ar Foll, après 1888.
Sur le côté, apparaît le nom VILLEMIN, industriel installé rue des Coutures Saint-Gervais à Paris. Celui-ci « forgeait les blocs d’acier, les trempait, les recuisait et louait les puissants balanciers dont ses clients [parmi lesquels Dropsy] avaient besoin pour le relevage et l’enfonçage » 2.
Long. 19 mm ; larg. 19 mm ; h. 29,5 mm ; p. 67,56 g.
© Suffren Numismatique – Nantes

Un poinçon, portant la mention SALAUN, a immanquablement attiré mon attention (figure 1)… Celui-ci représente un personnage auréolé couché, portant une croix sur le torse, et avec un lys de jardin semblant sortir de sa bouche. L’interprétation de cette curieuse iconographie, associée à l’inscription, ne fait aucun doute quant à son interprétation : il s’agit d’une figuration du miracle de Salaün le Fou, en breton Salaün ar Foll.


Figure 2
Le miracle de Salaün ar Foll, gravure de Pierre Péron (1905-1988), extraite du recueil La légende de « Salaün ar Foll », édité par la galerie Saluden de Quimper en 1934.
© Musée de Bretagne – Rennes ; inv. 993.0024.37.5.

Les récits divergent sur les détails, mais voici ce que l’on en retient généralement de sa légende :
Salaün ar Foll, qui serait né en 1310, était un mendiant réputé simple d’esprit. On raconte qu’il vivait dans une clairière de la forêt près de Lesneven (Finistère). Il était alors appelé le fou du bois, car selon la légende, il habitait dans le creux d’un arbre de la forêt. On dit aussi qu’il assistait chaque matin à la messe avant de passer le reste de sa journée à mendier en répétant inlassablement Ave Maria, itroun guerhès Maria (Oh Marie ! Madame Vierge Marie !). À la Toussaint de l’An 1358 ce pauvre hère mourut dans l’indifférence absolue. On le retrouva mort au pied de son arbre et c’est là qu’on l’enterra. Or, peu après on découvrit sur sa tombe un lys, fleur associée à Marie, sur lequel était écrit en lettres d’or : Ave Maria. En ouvrant sa tombe, on constata que le lys prenait racine dans sa bouche (figure 2). Ce miracle attira aussitôt les foules.

En 1364, le prétendant au trône de Bretagne, Jean de Montfort (1345-1399), fit le vœu de bâtir un sanctuaire sur le lieu du miracle, alors rebaptisé Le Folgoët (littéralement le fou du bois), s’il réussissait à vaincre son adversaire Charles de Blois (1341-1364). Peu après, Jean remporta la bataille d’Auray (29 septembre 1364) durant laquelle Charles de Blois trouva la mort. Cette bataille décisive mit fin à la guerre de succession de Bretagne qui déchirait le duché depuis 1341, et Jean pu devenir le duc légitime sous le nom de Jean IV. Tenant sa parole, la première pierre du sanctuaire fut posée dès 1365, mais les travaux traînèrent en longueur et c’est son successeur Jean V (1399-1442) qui acheva la première chapelle en 1409. Celle-ci fut placée sous le vocable de Notre-Dame. En 1423, la chapelle fut élevée en église collégiale par l’évêque de Léon. Enfin en 1427, le pape Martin V (1417-1431) érigea Notre-Dame du Folgoët au rang des basiliques mineures, ce qui en fait la plus ancienne de France.


Figure 3
Procession du pardon de Notre-Dame du Folgoët :
la statue de la Vierge à l’Enfant et les bannières. Vers 1900.

Rapidement, Notre-Dame du Folgoët devint un important lieu de pèlerinage : la duchesse Anne de Bretagne (1488-1514) y vint en 1491, 1494, 1499 et 1505 et le roi François Ier (1515-1547) en 1518. Le pèlerinage du Folgoët avait quasiment disparu à la fin du XVIIe siècle. Toutefois, en 1873 un premier grand pardon y fut organisé et le véritable renouveau eut lieu le 8 septembre 1888 lorsqu’une foule estimée à 60 000 personnes assista à la cérémonie de couronnement de la Vierge du Folgoët, « distinction » accordée par le pape Pie IX (1846-1878). À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les fidèles assistaient nombreux chaque 8 septembre aux pardons de Notre-Dame du Folgoët (figure 3). En 1946, on en comptait encore plus de 50 000. La fréquentation du pardon décline depuis les années 1960, et l’année dernière la foule n’était plus que de 5 000 personnes environ3.
À l’image de la statue placée en façade de la basilique (figure 4), on représente le plus souvent Salaün ar Foll de son vivant en tenue de mendiant portant un large chapeau et tenant un long bâton de marche, attributs rappelant sa vie d’errance. Ainsi, les représentations de son miracle se révèlent finalement assez rares. Il en est de même sur les médailles miraculeuses dédiées à Notre-Dame du Folgoët dont la quasi totalité représente à l’avers la Vierge à l’Enfant et au revers une vue de la basilique (figure 5). Il est vrai que la seconde moitié du XIXe siècle fut tellement marquée par le culte marial que l’image de la Vierge devint omniprésente au point que même au Folgoët Salaün ar Foll soit effacé par Notre-Dame… Toutefois, nous avons pu découvrir un exemplaire d’une rare médaille (figure 6) figurant au revers le miracle de Salaün ar Foll. Le coin de revers de cette médaille a indiscutablement été réalisé par la même main que le poinçon présenté plus haut, mais leurs tailles diffèrent : sur la médaille, Salaün ar Foll mesure 15 mm et seulement 7,5 sur le poinçon. Celui-ci a donc servi à réaliser une réduction de la médaille présentée ici. On utilisait pour cela une machine spécifique appelée tour à réduire qui permet de reproduire automatiquement les reliefs d’un modèle, cette reproduction étant réduite dans toutes ses dimensions suivant un rapport déterminé à l’avance. Le tour à réduire, sorte de pantographe travaillant dans les trois dimensions, permet de graver sur un bloc d’acier, et aux dimensions définitives de la future médaille (Jean Tessier, Chef de fabrication à la Monnaie de Paris). À l’avers, la médaille fait apparaître une Vierge Marie trônant et tenant l’Enfant Jésus, tous deux sont clairement couronnés. Ce détail tendrait donc à en dater la frappe après 1888. Signalons enfin que cette médaille en forme de quadrilobe anglé, motif emprunté à l’architecture gothique, est frappée en laiton, ce qui est plutôt un signe de qualité pour ce type d’objets.


Figure 4
Statue de Salaün ar Foll en façade de la basilique Notre-Dame du Folgoët.
© Domaine public

Dans le lot d’outillages se trouvait aussi un autre poinçon portant cette fois la mention FOLGOET (figure 7). Celui-ci représente l’Apparition de la Vierge et l’Enfant à un personnage qui ne peut être que Salaün ar Foll. En effet, celui-ci se tient à genoux devant l’apparition, non dans une position de prières, mais plutôt la main tendue comme pour mendier. Le large chapeau et le bâton de marche posés à terre devant lui confirment l’identification de Salaün ar Foll. Il faut enfin remarquer sur la droite une sorte de petit bâtiment ayant une statue sur sa façade : il s’agit de la fontaine Salaün. C’est la source dans laquelle Salaün ar Foll avait l’habitude de se désaltérer qui a été aménagée au chevet de la basilique en fontaine réputée miraculeuse (figure 8). Ce poinçon a été spécialement exécuté pour réaliser la médaille de forme ogivale commémorant la cérémonie du couronnement de Notre-Dame du Folgoët puisque celle-ci porte à l’exergue la date 8 7bre 1888 (figure 9). Il est légitime que sur cette face, ni la Vierge Marie, ni l’Enfant Jésus ne soient couronnés car ils ne l’étaient pas encore du vivant de Salaün ar Foll. En revanche, à l’avers ils apparaissent en pieds et dûment couronnés sur un fond semé de mouchetures d’hermine. Mais le plus important c’est que, outre la mention SALAÜN qui confirme l’identification du personnage agenouillé, cette médaille présente la particularité tout à fait exceptionnelle d’avoir une légende en breton inscrite sur ses deux faces. Il est intéressant enfin de remarquer que cette médaille a été frappée en aluminium, métal qui était devenu peu onéreux depuis les avancées techniques de 1886 qui permirent aussitôt d’en populariser l’usage. Aussi il est probable que cette médaille ait été produite en grandes quantités à l’époque, même si elle est bien difficile à trouver aujourd’hui.

  
Figure 5
Deux exemples de médailles miraculeuses dédiées à Notre-Dame du Folgoët représentant la Vierge à l’Enfant à l’avers et une vue de la basilique au revers. Vers 1900.
Zinc (?) ; diam. 14 mm ; p. 1,27 g et aluminium ; diam. 17 mm ; p. 0,27 g.
© Suffren Numismatique – Nantes


Figure 6
Médaille miraculeuse en laiton dédiée à Notre-Dame du Folgoët représentant la Vierge à l’Enfant à l’avers et le miracle de Salaün ar Foll au revers, après 1888.
Diam. 19 mm ; p. 2,34 g.
© Suffren Numismatique – Nantes


Figure 7
Poinçon en acier représentant l’Apparition de la Vierge et l’Enfant à Salaün ar Foll, 1888.
Long. 35 mm ; larg. 26 mm ; h. 31 mm ; p. 172,16 g.
© Suffren Numismatique – Nantes

En plus de leur caractère unique, qui justifie déjà à lui seul le signalement de ces poinçons, s’ajoute leur intérêt esthétique car ils apportent deux occurrences supplémentaires au catalogue iconographique pour le moins indigent de ce Saint breton un peu oublié aujourd’hui4 car il fut, il est vrai, essentiellement vénéré à la fin du Moyen Âge. Qui sait, peut-être que ces petites matrices, et les médailles qu’elles ont permis de frapper, inspireront le sculpteur qui réalisera un jour prochain la grande statue de Salaün ar Foll puisqu’il est envisagé de l’ajouter à toutes celles déjà visibles dans la fameuse Vallée des Saints de Carnoët5 (Côtes d’Armor).


Figure 8
La fontaine de Salaün au Folgoët : les pèlerins viennent y boire l’eau en faisant un vœu à Notre-Dame, en particulier pour la guérison. Quant aux jeunes filles, elles y jettent des pièces ou y déposent des épingles entourées de cheveux pour s’assurer un mariage dans l’année. Vers 1900.

Gildas SALAÜN

Je dédie ce texte à mon père Marcel Salaün
décédé le 17 juin 2020.

Bibliographie

• Louis élégoët et Georges Provost, Le Folgoët, sanctuaire d’exception, éditions Coop-Breizh, 2019.

• Joseph Le Bayon, Salaün ar Foll, éditions Moulet, 1923.

• Jacques Le Goff et René Rémond, Histoire de la France religieuse. Du roi Très Chrétien à la laïcité républicaine, XVIIIe-XIXe siècle, t. 3, Seuil, 1991.

• Albert Poulain et Bernard Rio, Les fontaines de Bretagne, Yoran Embanner Éditions, 2008.


Figure 9
Médaille en aluminium commémorant le couronnement de Notre-Dame du Folgoët
le 8 septembre 1888. La légende en breton autour de la Vierge se traduit ainsi :
Notre-Dame du Folgoët / priez pour nous6.
© Suffren Numismatique – Nantes


1 Toute idée sera la bienvenue. Merci de m’écrire à gildas.salaun.nantes@gmail.com

2 Extrait de Henri Dropsy, « L’art et les techniques de la médaille », à lire ici https://www.medaillescanale.com/blog/l-art-et-les-techniques-de-la-medaille-par-henri-dropsy-b41.html

3 « Un grand pardon dans la ferveur et la tradition au Folgoët », Ouest-France du 8 septembre 2019 https://www.ouest-france.fr/bretagne/le-folgoet-29260/en-images-un-grand-pardon-dans-la-ferveur-et-la-tradition-au-folgoet-6510400

4 Une exposition a récemment réuni un ensemble de rares objets représentant Salaün ar Foll. Aucune médaille n’y figurait. « Une exposition sur la légende de Salaün ar Foll », Ouest-France du 2 juin 2017 https://www.ouest-france.fr/bretagne/le-folgoet-29260/une-exposition-sur-la-legende-de-salaun-ar-foll-5038869

5 « La statue de Salaün dans la Vallée des Saints », Ouest-France du 31 mai 2018 https://www.ouest-france.fr/bretagne/le-folgoet-29260/le-folgoet-la-statue-de-salaun-dans-la-vallee-des-saints-5792486

6 Traduction Pierre-Émmanuel Marais, que je remercie.

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