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À propos du sceau pour sauf-conduit de Gilles de Retz | 20/02/2019 Publications Jeanne Béchet et Clémence Gauche, étudiantes sous la direction de Gildas Salaün, ont réalisé récemment un bel exemple d'analyse comparative entre la sigillographie et la numismatique. Cet article, précédemment publié dans le Bulletin Numismatique 183, traite des sceaux du célèbre Gilles de Retz et éclaire d'un jour nouveau les souvenirs sigillographiques de ce personnage historique. Du fond de leurs tiroirs et parfois enfouis sous terre, les sceaux sont restés muets pendant très longtemps. Si le XIXe siècle a vu éclore l’engouement historique des sociétés savantes pour ces objets, si elles se sont mobilisées pour la création d’inventaires, tels que ceux de Germay Demay et de Louis Douët d’Arcq1, l’accent n’avait cependant pas été mis sur leur potentielle valeur scientifique. Pourtant, lors du colloque de la Fondation Ettore Majoram en 1992, intitulé L’image. Fonction et usages des images dans l’Occident médiéval, Michel Pastoureau déclare que le sceau est un document « qui procure une connaissance réellement approfondie des images médiévales »2. De plus en plus de colloques et de conférences s’intéressent aux sceaux, à leur juste valeur. Ces derniers deviennent une source iconographique remarquable pour une étude aussi complète que possible d’un sujet historique. GILLES DE RETZ Au préalable, rappelons brièvement qui est Gilles de Retz afin de comprendre comment les évènements de sa vie ont pu jouer un rôle important dans l’iconographie de son sceau. La notoriété de Gilles de Retz, tant pour son implication dans la guerre de Cent Ans que pour ses multiples crimes, permet de comprendre l’intérêt que lui ont porté les collectionneurs du XIXe siècle. L’existence de la matrice pour sauf-conduit de Gilles de Retz, aujourd’hui conservée au Musée du Mans, a suscité beaucoup d’émulation. Des reproductions en cire, en dessin et autres supports ont été réalisées. Cependant pour Gildas Salaün il s’agissait de questionner l’authenticité de cette matrice du Mans, enquête sur laquelle nous revenons aujourd’hui, à partir d’une analyse comparative6 faisant appel à la numismatique dont l’iconographie s’étudie aisément aux côtés de la sigillographie7. Voici la description de la matrice du Mans :
Date de création incertaine, argent ? Il s’agit d’une matrice orbiculaire, plate avec une arrête dorsale de préhension. Celle-ci est percée d’un anneau de suspension en son sommet, et d’un trilobe indiquant le sens du scellage. Légende entre un simple grènetis et un double grènetis : SEEL POUR. SAUF : CONDUIT : DE GILLES : SIRE : DE : REYS : S : DE : POUSAUGES (trois fleurons) Les fiches d’œuvres du musée du Mans confirment l’incertitude quant à l’originalité de cette matrice. PLUSIEURS TYPES DE FAUX : Parmi les matrices conservées dans les collections européennes9, il en existe des « faux ». Dominique Delgrange a été le pionnier de cette prise en compte et de l’identification de ce qui caractérise un « faux » d’un « vrai »10. Trois types de « faux » sont à distinguer :
Afin de statuer sur l’authenticité de la matrice du Mans, il convient de répertorier les autres sceaux de Gilles de Retz. En effet, les Archives Départementales de Loire-Atlantique11 possèdent trois empreintes du sceau de Gilles de Retz encore appendues aux actes. Un autre, appendu à une transaction, est conservé aux Archives Départementales du Maine-et-Loire12. De même, le musée Dobrée à Nantes conserve la matrice du contre-sceau de Gilles de Retz pour les contrats de Tiffauges. En voici les descriptions : Empreintes de cire du sceau de Gilles de Retz conservées aux Archives :
France, Pays de Retz, cire rouge, sceau orbiculaire Au centre du champ est gravé un écu penché de Retz à l’orle de France, timbré d’un heaume à deux cornes au cimier de dragon, le tout supporté par deux anges, agenouillés.
Cire rouge sur simple queue Sceau à l’écu penché aux armes de France chargé au centre d’un écu à la croix de Retz, timbré d’un heaume et soutenu par deux anges. Le cimier n’est pas identifiable.
Cire rouge sur simple queue La présence de ces trois empreintes étalées sur une durée de quatre ans témoigne de la permanence des armoiries et du sceau de Gilles de Retz, au moins à partir de la gratification royale et l’ajout de l’orle de France en 1429.
Septembre 1429 – Octobre 1440, France, Pays-de-Retz Le champ est gravé d’un blason chargé au centre d’un écu de Retz, qui est d’or à la croix de sable, entouré de l’orle de France. L’écu est surmonté d’un T pour Tiffauges et est orné de part et d’autre de motifs végétaux.
- 15 avril 1428 : Sceau appendu à une transaction entre Gilles de Retz et le chapitre Saint-Jean-Baptiste d’Angers Voici tout le matériel sigillographique dont nous disposons pour cette étude. ANALYSES DES SOURCES : Bien que l’identification d’un faux soit rendue difficile par l’application des graveurs du XIXe siècle à reproduire la facture des sceaux d’époque, la matrice du Mans semble « trop » parfaite dans sa composition et son exécution14. Yves Airiau voit dans cette qualité le signe de la parenté et de la fortune de Gilles de Retz qui pouvait se réclamer de la haute aristocratie. Il ajoute que la qualité de conservation serait due à « la fréquence relative » de l’emploi de la matrice15. La gratification royale de l’orle de France à son blason en 1429 incite en effet Gilles de Retz à changer de sceau. Les empreintes des ADLA prouvent qu’il le fit rapidement. Ce changement pourrait expliquer l’état de conservation de la matrice du sauf-conduit qui aurait donc peu servi. Malgré tout et bien que l’analyse d’Airiau soit raisonnée, les doutes demeurent. De plus, la matrice du Mans présente peu de traces d’oxydation pour un objet du XVe siècle. Outre la conservation, la « trop belle facture » de la matrice du Mans interroge16. La parfaite régularité de l’exécution ne semble pas provenir d’un atelier médiéval. Les poinçons présents sur les ailes du cygne au niveau du cimier sont d’une rectitude semblable à ce que donnerait l’utilisation d’une machine et non d’un outillage manuel (fig. 9). De même, les fleurons qui parsèment la matrice sont tous similaires. Toujours au niveau de son exécution, l’écu de la matrice du Mans n’affiche pas les bons émaux. Néanmoins, les codes des hachures et guillochures pour exprimer une couleur sur les sceaux et les monnaies ne se stabilisent pas avant le XVIIe siècle17. Pour autant, sur la matrice du Mans, le sable de la croix de Retz est marqué par un quadrillage oblique, très prononcé et très droit (fig. 10). Ces hachures ne correspondent donc à aucun code couleur, car lorsque les règles se sont imposées au XVIIe siècle, le sable est représenté par un quadrillage rectiligne18. Cette liberté sur les émaux de la matrice se remarque aussi dans les poinçons du cimier qui représenteraient la couleur or. Ainsi donc, la conservation et l’exécution de la matrice du Mans permettent d’affirmer qu’il s’agit d’une fabrication du XIXe siècle et non du XVe siècle. Enfin, la réalisation d’une matrice exclusivement pour sauf-conduit semble très, voire trop, luxueuse et rare. Même si le sauf-conduit existe bien au Moyen Âge, comme en atteste celui délivré par Philippe le Bel aux marchands de la foire de Lille (Archives de Lille, PAT/81/1478Il), il n’existe aucune autre référence comparable pour les sceaux de France répertoriés dans les bases de données, telle que Sigilla19. De plus, il est présomptueux de nommer, ou de continuer de nommer un sceau « pour sauf-conduit » alors que l’acte a disparu ou n’existe peut-être finalement pas. C’est l’acte et non le sceau qui est un sauf-conduit. AUTRES DÉTAILS TROUBLANTS Au regard des exemplaires (fig. 1, 3), deux « timbres »20 sont attribués à Gilles de Retz. Le premier est visible sur la matrice du sauf-conduit de Gilles de Retz et de Pouzauges. L’écu à la croix de Retz est timbré d’un heaume dont le cimier est un cygne aux ailes déployées d’or, soutenu par deux cygnes. Le second, fourni par les empreintes des ADLA, représente un écu timbré d’un heaume à deux cornes, et au dragon pour cimier, le tout est supporté par deux anges agenouillés. Les cygnes et les anges sont des images courantes en sigillographie.
Le département des Monnaies, Médailles et Antiques de la Bibliothèque nationale de France conserve à lui seul plus d’une vingtaine de matrices à écu penché, dit « timbre », pour le XVe siècle21. Les sceaux ainsi que les autres supports d’armoiries montrent en effet que cette composition graphique apparaît dès le XIVe siècle et se développe tout au long du XVe siècle22. Par exemple, le sceau de Jean V de Bretagne reprend la même configuration de timbre avec un heaume à deux cornes23. De même, parmi les sceaux de Flandres, ceux de la famille Grebert, datés vers le milieu du XVe siècle, reprennent à peu de choses près le même timbre que le sceau de Gilles de Retz : un écu penché, timbré d’un heaume dont le cimier est un dragon, le tout supporté par deux anges24 (fig. 11). Ces « timbres » se retrouvent aussi sur les monnaies de l’époque comme le gros au timbre de Jean IV, duc de Bretagne, où l’on retrouve un cimier composé d’un lion de Montfort, entouré d’une ramure de taureau25 ou le gros dit « heaume » de Robert de Bar, ou encore le gros de Charles II, duc de Lorraine, ou enfin les testons de Galeazzo Maria Sforza, duc de Milan (fig. 12). Les deux timbres attribués à Gilles de Retz renvoient donc à des images connues. En revanche, il est étrange que les deux timbres ne soient en aucun cas identiques. Comme vu précédemment, Gilles de Retz s’est vu octroyer l’orle de France à ses armoiries en 1429. La commande d’un nouveau sceau allait de soi et les empreintes appendues aux contrats des ADLA l’attestent bien. Cependant pourquoi passer d’un cygne à un dragon pour cimier ? Par ailleurs, comme mentionné par Jean-Bernard de Vaivre en 197026, la véracité de la matrice serait confirmée par la présence aux ADML d’un sceau fragmentaire appendu à une transaction entre Gilles de Retz et le chapitre Saint-Jean-Baptiste d’Angers, le 15 avril 1428 (fig. 8). Bien que soient seulement visibles l’un des cygnes supportant le timbre, quelques fleurons et le heaume, il est probable que ce soit le sceau de Gilles de Retz, le nombre de signataires étant restreint. Il semble donc indéniable que l’empreinte des ADML ait servi de modèle à la matrice conservée au Mans. Cependant l’absence de dessin de cette empreinte avant sa dégradation ne permet pas de confirmer l’iconographie de la matrice du Mans. Reconnaissons en revanche que pour compléter une composition lacunaire, le graveur moderne s’est habilement inspiré des images courantes sur les sceaux et les monnaies du XVe siècle. Il est par ailleurs possible de noter quelques différences entre l’empreinte et la matrice du Mans. En effet, sur l’empreinte, la tête de cygne ne touche pas le heaume, tandis qu’il la frôle sur la matrice. Les fleurons visibles ne sont pas tout à fait disposés de la même manière sur les deux supports. Pour finir, même si le drapé du heaume de la matrice du Mans reprend ce qui est présent sur l’empreinte de cire, celui-ci ne revient pas derrière le heaume, comme c’est souvent le cas à cette époque, en atteste le heaume d’or frappé à partir du 21 octobre 1417 (fig.13)27 (le drapé servant à couvrir la nuque du chevalier). Le sauf-conduit du Mans, ne peut en aucun cas être le produit d’un surmoulage, mais résulte plutôt d’une reconstitution à partir d’un fragment d’empreinte dans l’intention de restituer le sceau de ce célèbre personnage. Ce cas de figure se retrouve fréquemment au XIXe siècle où à partir d’un fragment d’empreinte ou d’un dessin, l’on reconstituait des sceaux ou des matrices fictives. Ainsi, par exemple, l’Ashmolean Museum a reconstitué à partir de deux dessins de Jean-Jacques Chiflet et Bernard de Montfaucon l’anneau sigillaire de Childéric au XIXe siècle. Il fut considéré comme le vrai pendant plusieurs décennies jusqu’à ce qu’il apparaisse comme une copie, après la découverte d’empreintes plus anciennes28. De même, dans l’ouvrage Sigillographie des Seigneurs de Laval 1095-1605, publié en 1888, Bertrand de Roussillon et Paul de Farcy publient un dessin du sceau de Gilles de Retz réalisé par dom Maurice à partir d’une empreinte des ADLA. Sur ce dessin, le cimier du heaume est orné d’un dragon. Or, dom Maurice a publié un autre dessin, toujours à partir des empreintes des ADLA, où le cimier est orné d’un lion (fig. 14)29. Dom Maurice a donc donné plusieurs interprétations sur le sceau de Gilles de Retz, seulement à partir de fragments de sceaux appendus à des actes. Malgré tout, bien que l’iconographie imaginée sur la matrice du Mans ne soit pas vérifiable, le sceau des ADML confirme la présence d’un cygne. En 1429, Gilles de Retz a donc pris le parti de changer le décor para-héraldique de son sceau et de lui donner une nouvelle dimension. Le heaume à cimier est l’attribut du chevalier en tournoi. C’est son signe distinctif ; un « emblème individuel » selon Pastoureau30. Bien qu’il soit héréditaire dans les grandes familles, le cimier est personnel et se retrouve représenté de la même manière sur tous les supports armoriés, notamment les sceaux et les monnaies31. Gilles de Retz a donc choisi d’y représenter un dragon. Au Moyen Âge, celui-ci est souvent le symbole du mal ou de l’hérésie, ou d’une richesse jalousement gardée. Les anges, quant à eux, peuvent renvoyer au premier sceau de régence du roi et permettent ainsi à Gilles de Retz d’ancrer plus profondément ses liens avec la famille royale32. Cependant il est difficile d’affirmer si ces renvois étaient volontaires de la part de Gilles de Retz. Malgré les incohérences de la susdite matrice, il est intéressant de se pencher maintenant sur son diamètre33. Il est vrai que ce dernier, de 55 millimètres, paraît assez important en comparaison de la taille des sceaux de quelques personnalités du temps de Gilles de Retz. En effet, la matrice du sceau du duc René Ier d’Anjou ne mesure que 4,5 centimètres de diamètre (Archives Départementales de Côte-d’Or, B11817), et les sceaux des compagnons de Jeanne d’Arc ne dépassaient pas les 25 millimètres. C’est notamment à partir de ces brèves comparaisons que Bernard de Vaivre argumente la non-authenticité de la matrice du Mans34. Or, aujourd’hui, la base de données Sigilla nous indique que les diamètres des sceaux du XVe siècle pouvaient être très variés. Par exemple, certains ducs tel que Charles Ier de Bourgogne, possédaient un sceau pouvant aller jusqu’à 58 millimètres de diamètre (empreinte, archives Départementales de Saône-et-Loire, Ad 71 - H 280 n° 2). Au contraire, durant la même période, d’autres personnalités de même rang pouvaient arborer un sceau d’une vingtaine de millimètres de diamètre, comme celui de Philippe III de Bourgogne utilisé de 1459 à 1460 (empreinte, archives Départementales de Saône-et-Loire, Ad 71 - H 65 n° 3). La taille du sceau de Gilles de Retz n’est donc pas exceptionnelle. En outre, si l’on observe chacune des empreintes du sceau authentique de Gilles de Retz, elles arborent aussi les 50 mm de diamètre (fig.3). Cette caractéristique prouve que même si la matrice du Mans est une tentative de reconstitution et non pas un vrai sceau médiéval, elle respecte des dimensions plausibles quant aux empreintes des ADLA et quant à la variété de dimensions que livre la sigillographie médiévale. CONCLUSION La matrice du sauf-conduit conservée au musée du Mans est donc une réplique du XIXe siècle réalisée à partir d’une empreinte en mauvais état des ADML. Il s’agit d’une tentative de reconstitution douteuse car elle ne peut être vérifiée. En plus de son appellation assez romanesque et attractive de « sauf-conduit », l’absence d’usure, la facture « trop » parfaite, l’incohérence des émaux sur l’écu, les menues différences avec l’empreinte de cire des ADML annulent l’authenticité de la matrice. La reproduction en partie imaginaire réalisée à partir d’un fragment de sceau est monnaie courante au XIXe siècle. Elle remet en question cette volonté des collectionneurs de reconstituer un « vrai » malgré les insuffisances. Cependant, certaines caractéristiques telles que le diamètre, fidèle aux empreintes des ADLA, la présence du cygne vérifiable grâce à l’empreinte des ADML, nous laissent comprendre que la personne à l’origine de la fabrication de ce pastiche était finalement sur la bonne voie concernant quelques aspects. Par ailleurs, cette matrice erronée a été à l’origine de diverses copies réparties dans les collections sigillographiques comme aux Archives Nationales de Paris mais aussi dans les réserves de Poitiers et de Nantes (fig.15). La célébrité de Gilles de Retz jouant, elle a nourri et nourrit toujours tout un imaginaire, un monde d’image dans les livres et sur la toile. Jeanne BÉCHET et Clémence GAUCHE 1 - DEMAY G., Inventaire des sceaux de la Flandre, recueillis dans les dépôts d’archives, musées et collections particulières du département du Nord, Paris, 1873 ; DOUËT d’ARCQ L., Inventaires et documents publiés par ordre de l’Empereur sous la direction de M. le comte de Laborde. Collection des sceaux, Paris, 1863-1868.
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