PHOTOGRAPHIE DE LA TRANCHE D’UNE PIÈCE PAR PROJECTION ANNULAIRE

PHOTOGRAPHIE DE LA TRANCHE D’UNE PIÈCE 
PAR PROJECTION ANNULAIRE

  

1- introduction

On trouve parfois dans certains ouvrages (1) ou sur la toile (2) (3), la photo d’une monnaie entourée par la projection annulaire de sa tranche comme sur la photo ci-dessus. C’est beau, pratique et… très intrigant. En général, piqué par la curiosité, le numismate éprouve l’envie d’appliquer un tel artifice photographique à ses propres pièces. C’est alors qu’il va se heurter à la difficulté de trouver un tutoriel expliquant pas à pas comment y parvenir.

L’objet de cet article est d’en proposer un en veillant à ce qu’il reste toujours techniquement et financièrement accessible à un amateur. Il sera appliqué ici à la pièce de 20 francs or Marianne Coq.

En numismatique, la valeur ajoutée de cet artifice technique est importante car il permet d’apporter et de garder la preuve photographique d’une frappe fautive ou d’une tranche anormale (pièces fautées, faux d’époque, etc.). En outre, c’est un procédé difficile à falsifier.

2- la technique photographique proposée

Elle se déroule en deux étapes : la prise de vue proprement dite suivie d’un traitement d’image informatique.

Le matériel photographique utilisé est un smartphone d’entrée de gamme sorti en 2018 (Xiaomi Redmi Note 5). Il est doté d’un capteur photographique de 12 mégapixels, ce qui est bien suffisant.

Pour réaliser le cliché initial, on s’inspire de l’astuce présentée en 2015 par Narezka EN dans une vidéo mise en ligne sur YouTube (4) ainsi que de la publication en 2019 de Ole Sjoelund sur le site Numista (5). Il existe peut-être des références antérieures mais elles n’ont pas été trouvées.

Le principe de l’astuce consiste à placer la pièce à l’intérieur du réflecteur lisse d’une lampe de poche ancien modèle (ampoule à incandescence). L’image de la tranche se reflète automatiquement sur la face interne du réflecteur en faisant un angle d’environ 45 degrés par rapport à la surface de la tranche.

Bien entendu, comme le cliché obtenu est une projection en miroir, l’image de la tranche apparaît inversée par rapport à la réalité. Ceci oblige à la redresser grâce à un traitement d’image informatique.

Le réflecteur de lampe de poche utilisé, sans et avec la pièce en place

Principe de la technique : l’image de la tranche se reflète sur la face interne du réflecteur avant d’être renvoyée vers l’appareil photo

Voici les deux clichés obtenus en utilisant ce procédé :

 
Sur les deux clichés réalisés, on constate que le sommet des lettres (voir le A de EGALITE) est dirigé vers l’intérieur de l’anneau pour la face Marianne et vers l’extérieur de l’anneau pour la face Coq. Il s’agit donc d’images « miroir » par rapport à la réalité et c’est pourquoi il est impératif de corriger cela.

3- le traitement d’image informatique

Il est réalisé avec le logiciel open source gratuit Gimp (version 2.10.36). Un expert infographiste pourra sans aucun doute améliorer et optimiser le processus décrit ci-dessous mais, avec cette réserve, cela fonctionne « en l’état ».

La première étape consiste à détourer les deux faces de la pièce ainsi que les deux projections annulaires de la tranche. Cette opération est effectuée grâce à l’outil « sélection elliptique » dans le menu de Gimp. Voici ci-dessous la photo d’origine de la face Coq (à gauche) et la photo finale entièrement détourée (à droite). Dans la suite du tutoriel Gimp ci-après, cette dernière est appelée « image de base ».

La seconde étape va ensuite consister à remettre «dans le bon sens» tous les motifs et mots gravés sur la tranche de façon à ce qu’ils correspondent à la réalité et redeviennent lisibles. Pour cela, on utilise le filtre « distorsions / coordonnées polaires ».

Voici, étape par étape, la marche à suivre :

1°) clic D sur l’image de base et choisir « ouvrir avec Gimp ».

2°) si ce n’est déjà fait, passer Gimp en mode « fenêtre unique » (c’est dans le menu « Fenêtre » de la barre des menus).

3°) dans la colonne de gauche, cliquer en haut sur la petite icône carrée « outil de sélection contiguë » (icône en forme de baguette magique) puis, plus bas dans la même colonne de gauche, en-dessous de l’inscription « sélection contiguë », cliquer sur le 2^e mode « ajouter à la sélection actuelle ».

4°) cliquer G successivement sur les deux zones blanches de l’image (un clic sur le blanc en-dehors de l’anneau puis un autre clic sur le blanc entre l’anneau et la pièce).

5°) en haut, dans la barre des menus, choisir le menu « sélection » et cliquer sur « inverser »

6°) dans la colonne de gauche, cliquer en haut sur la petite icône carrée « sélection à main levée » (icône en forme de lasso) puis, toujours dans la même colonne, en-dessous de l’inscription « sélection à main levée », clic G sur le 3^e mode (« soustraire de la sélection actuelle »). Le curseur change de forme et prend l’aspect d’un lasso.
Faire un premier clic G dans le blanc entre l’anneau et la pièce. Un petit rond jaune apparaît à l’endroit du clic. Relâcher la souris. Le rond jaune disparaît. Déplacer le curseur un peu plus loin pour faire un second clic toujours en restant dans l’espace blanc entre l’anneau et la pièce. On fait de même pour un troisième clic, un quatrième clic, etc. jusqu’à encercler complètement la pièce et donc jusqu’à revenir à proximité du tout premier clic. Pour le dernier clic, il faut re-cliquer sur l’emplacement du tout premier : le dernier clic et le premier clic se fondent l’un dans l’autre et deviennent de couleur orange en se rejoignant.

7°) Ctrl C puis Ctrl V (raccourcis clavier pour copier et coller)

8°) sur la droite et en bas de l’écran, clic D sur « sélection flottante (calque copié) » puis, dans le sous-menu qui s’ouvre, clic G sur « vers nouveau calque »

9°) dans la barre des menus, choisir le menu « filtres » > choisir « distorsions » > choisir « coordonnées polaires » : un ruban de forme bizarre s’affiche. Laissez le s’afficher entièrement puis, dans le sous-menu qui s’est automatiquement ouvert, décocher l’option « en coordonnées polaires ». On passe alors automatiquement en coordonnées cartésiennes et le ruban se transforme en une barre métallique horizontale occupant le bas du calque.

10°) valider

11°) dans la barre des menus, aller dans le menu « sélection » et cliquer sur « tout »

12°) Ctrl X puis Ctrl V (raccourcis clavier pour couper et coller)

13°) sur la droite et en bas de l’écran, clic D sur « sélection flottante (calque copié #1) » puis, dans le sous-menu qui s’affiche, clic G sur « vers nouveau calque »

14°) dans la barre des menus, aller dans le menu « calque » puis clic G tout en bas dans le sous-menu sur « rogner selon le contenu »

15°) dans la barre des menus, choisir « outils » > « outils de transformation » > « retourner »
Dans la colonne de gauche de l’écran, cocher « vertical » : la forme du curseur change.
L’amener sur la barre de métal et clic G dessus : l’orientation des lettres est modifiée.
Cocher ensuite « horizontal » et amener à nouveau le curseur sur la barre de métal. Y faire un clic G dessus : l’orientation des lettres est à nouveau modifiée.

16°) dans la barre des menus, choisir le menu « Calque » > cliquer sur « fusionner vers le bas »

17°) dans la barre des menus, choisir le menu « filtres » > choisir « distorsions » > puis choisir « coordonnées polaires ». L’anneau de la tranche réapparaît. Laisser l’image s’afficher totalement puis cocher les trois cases « mapper vers l’arrière », « mapper depuis le haut » et « en coordonnées polaires ». Attendre que l’anneau ait encore changé totalement.

18°) valider

19°) fichier > exporter sous > exporter (choisir un nom pour votre image) > exporter

C’est fini. On dispose maintenant d’une image associant la pièce et sa tranche correctement orientées l’une par rapport à l’autre (ce sont les photos en tête de l’article).

4- utilisation de l’artifice photographique dans le cas d’une pièce normale

Pour la pièce de 20 francs Marianne Coq, la gravure de la tranche est effectuée au moyen d’une virole brisée en trois segments. Chaque segment comporte un mot de la devise républicaine. Il y a donc :
- le segment LIBERTE ;
- le segment EGALITE ;
- le segment FRATERNITE.

Les zones de jonction entre deux segments adjacents sont facilement repérables sur la tranche car matérialisées par un petit trait vertical et en relief lequel, si on le prolonge par la pensée (traits en rouge sur les photos ci-dessous), pointe vers un motif bien précis du listel :

 

Les motifs pointés sont tous constitués de trois dards, un dard central vertical flanqué de deux dards latéraux courbes. Sur toute la circonférence de la pièce, ils sont séparés les uns des autres par des oves comme ci-dessous :

Ove et motif du listel

Les motifs sont faciles à numéroter. Il suffit juste de s’accorder au préalable sur celui qui, pour chaque face, porte arbitrairement le numéro 1 et ensuite on incrémente dans le sens horaire.
La face Marianne comporte au total 49 motifs séparant 49 oves. Le numéro 1 est arbitrairement attribué au motif situé au-dessus du R de REPUBLIQUE car c’est le plus facile à identifier sans risque de se tromper.
Pour sa part, la face coq ne comporte que 48 motifs séparés par autant d’oves. Le numéro 1 est arbitrairement attribué à celui situé à la pointe du chiffre 2 de la valeur faciale 20 francs car c’est, là encore, le motif le plus facile à numéroter sans risque d’erreur.
Au final, on localise très précisément l’emplacement des segments de la virole par rapport aux motifs du listel. Bien entendu, ces motifs-repères ne sont pas les mêmes d’une face à l’autre puisque l’avers et le revers en ont des nombres différents :

Position des segments de la virole (en rouge) par rapport aux motifs des listels d’une pièce normale

Ci-dessous, les mêmes données présentées sous forme de tableaux :

 
Position des segments de la virole par rapport aux motifs du listel.

5- application de l’artifice photographique à des pièces anormales

La technique proposée permet d’étudier plus facilement des pièces anormales, qu’il s’agisse de pièces authentiques mais fautées (par exemple des coins tournés, encore appelés frappes décalées) ou de pièces fausses (faux d’époque, faux pour servir).

S’agissant des coins tournés, deux options sont possibles (6) :
- soit c’est la face Marianne qui est décalée et donc fautive (coin tourné d’avers)  ;
- soit c’est la face Coq qui est décalée (coin tourné du revers).

Grâce à l’artifice photographique proposé, nous pouvons facilement déterminer le type d’anomalie en cause pour une pièce donnée. Pour l’illustrer, examinons le cas de deux pièces. L’une est authentique (millésime 1909) et présente un coin tourné du revers. L’autre est fausse (millésime 1907) et présente un coin tourné d’avers. Le tableau ci-dessous récapitule les données relevées sur ces deux pièces :

Les photos ci-dessous apportent les mêmes informations que le tableau mais elles permettent de mieux visualiser les anomalies des rapports entre la tranche et les faces :

- pièce 1909 avec frappe décalée de 90 degrés :
Le coin fautif est celui du revers (face Coq) puisque la tranche et la face d’avers (face Marianne) conservent des rapports normaux. La rotation est mesurée à 90 degrés dans le sens horaire :

1909 frappe décalée : le coin du revers (face Coq) a tourné de 90 degrés dans le sens horaire. Pour sa part, la face d’avers (face Marianne) n’a pas bougé.

- pièce 1907 avec frappe décalée de 180 degrés :
Ici, le coin fautif est celui d’avers (face Marianne) car la tranche et la face du revers (face Coq) conservent des rapports normaux. La rotation est mesurée à 180 degrés (frappe médaille) :

1907 frappe médaille : le coin d’avers a tourné de 180 degrés,
d’où la tête de Marianne « en bas ».
Pour sa part, la face du revers n’a pas bougé, le coq a « la tête en bas »,
comme sur une pièce normale.

6- application de l’artifice photographique aux tranches anormales

Les tranches des pièces peuvent elles aussi présenter des anomalies et le procédé photographique proposé est alors une solution pour mieux les étudier et en sauvegarder une image.
Ainsi, ce procédé eût été très intéressant dans le cas d’une 20 francs or Marianne Coq présentant une tranche de type A voire une tranche incomplète ou en désordre. Malheureusement, cela n’a pas pu être fait faute d’avoir eu accès à un exemplaire fauté (à ce sujet, si un lecteur souhaite se dessaisir d’un tel exemplaire, qu’il n’hésite surtout pas à me contacter par l’intermédiaire de la rédaction qui transmettra. Merci à lui par avance !).

7- discussion

En dépit de son efficacité, la technique photographique décrite présente au moins deux limitations :
- l’une est liée au réflecteur utilisé. En effet, la face interne de celui-ci n’est pas parallèle à la surface de la tranche mais inclinée d’environ 45 degrés par rapport à elle. L’image obtenue apparaît donc un peu plus plus grande que la réalité, un peu comme un miroir déformant amincissant.
Jusqu’à présent, l’utilisation du logiciel Gimp n’a pas permis de corriger cet artefact.
Toutefois, cette déformation n’empêche pas d’utiliser l’artifice photographique proposé car même si l’image paraît un peu plus grande que la réalité, les rapports entre les inscriptions sur la tranche et les motifs sur les listels des deux faces ne sont pas modifiés puisque la déformation intéresse de la même façon toutes les composantes de l’image renvoyée vers l’objectif de l’appareil photo ;
- la seconde limitation est liée à l’utilisation d’un smartphone. Le recours à un véritable appareil photo aurait sans aucun doute permis des prises de vue de meilleure qualité. Toutefois, comme l’objectif fixé en introduction était de proposer une méthode techniquement et financièrement accessible au plus grand nombre, le choix du smartphone s’est imposé d’autant que la plupart des numismates en possèdent déjà un.

8- Conclusion

L’étude des rapports entre les inscriptions gravées sur la tranche et certains éléments présents sur les deux faces d’une pièce est facilitée par un artifice photographique qui, techniquement parlant, n’est pas un photomontage mais un cliché réalisé en une seule prise de vue, un peu comme Picasso qui peignait sur une même toile la vue de face et la vue de profil d’un visage ou d’un personnage.
Le principe du procédé est simple et sa mise en application ne nécessite pas de matériel sophistiqué ni de logiciel de pointe. Il montre nos monnaies sous un autre jour et permet de disposer d’une preuve photographique des anomalies observées, Il autorise également l’étude des anomalies des tranches.

Jean-Luc GRIPPARI

Bibliographie

1) https://www.cgb.fr/le-franc-les-essais-les-archives-charles-x-1824-1830-theret-philippe-taillard-michel,lf29,a.html#group
2) https://www.numismatique.com/forum/topic/15174-prendre-la-tranche-des-pi%C3%A8ces-en-photo/#comment-74212
3) https://en.numista.com/catalogue/pieces10.html
4) https://www.youtube.com/watch?v=F1VmTlKjjmQ
5) https://en.numista.com/forum/topic87440.html#p744058
6) « Le monnayage et les monnaies fautées 1789 - 2009 » de Jean-Claude CHORT, aux éditions Gadoury (1^re édition, 2009) et notamment les pages 42, 86 et 401 à 409. Dans ce livre, les coins tournés correspondent aux classifications EM471 et EM472.