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LES MYSTÉRIEUSES MONNAIES DE SAINT-DOMINGUE | 09/12/2019 Informations Retrouvez-ci-dessous l'intégralité de l'article de M. Marc Bazoge consacré au décime aussi appelé 2 sous de Saint-Domingue, paru dans Le Bulletin Numismatique 192 - Décembre 2019. La numismatique nous emmène dans des contrées inconnues et exotiques et ce, même si au premier abord, le thème que nous avions choisi ne nous prédestinait pas à un tel voyage. Collectionneur des monnaies décimales d’Augustin Dupré, je me suis intéressé à toutes les bizarreries que seule la numismatique sait nous offrir. Parmi celles-ci, il en est une qui m’a toujours intrigué mais que jamais je n’ai pu m’offrir car les rares exemplaires vus en ventes atteignaient des montants prohibitifs pour moi. Je me suis alors contenté de les observer « de loin » en me disant : Un jour, peut-être… Il s’agit du décime aussi appelé 2 sous de Saint-Domingue. Il en existe deux sortes distinctes référencées aux pages 597 et 598 du livre de Jean LECOMPTE, Monnaies et Jetons des Colonies Françaises aux éditions Gadoury (https://www.cgb.fr/monnaies-et-jetons-des-colonies-francaises-edition-2007-lecompte-jean,lM131,a.html). Le premier (que je nomme Type 1) est très facilement reconnaissable et même amusant puisqu’il présente des N rétrogrades à UN et à L’AN, ainsi que 3 étoiles après FRANÇAISE. Le métal s’apparente à un bronze pauvre en cuivre et la gravure est assez grossière. Le second (Type 2) est différent. J’aimerais dire qu’il ressemble davantage à un décime ordinaire, mais non. Il est jaune, ressemble aux faux dits en métal de cloche que l’on rencontre de temps à autres, mais son aspect est bien plus frustre. La Marianne a des contours torturés et l’ensemble de la monnaie est maladroitement réalisé. Ces deux types de Un décime ont beaucoup circulé, ils sont donc souvent en état médiocre et leur rareté peut être due à plusieurs facteurs comme la thésaurisation, la perte ou la refonte. La survivance est faible, ce qui explique les montants observés. UN PEU D’HISTOIRE Saint-Domingue est une francisation du terme espagnol Santo Domingo (la traduction étant Saint-Dominique) Saint-Domingue, située sur la partie occidentale de l’île d’Hispaniola, est une colonie française de 1626 au 1er janvier 1804, date à laquelle elle devient indépendante sous le nom d’Haïti. Jean-Jacques Dessalines, collaborateur du général Toussaint Louverture jusqu’à la déportation de ce dernier en Espagne par le corps expéditionnaire de Napoléon Bonaparte, devient le premier chef de l’État d’Haïti sous le nom de Jacques Ier, Empereur d’Haïti de 1804 à 1806. La colonie française de Saint-Domingue devient Haïti, république noire et indépendante. Mais cette indépendance n’est reconnue ni par la France, ni par les États-Unis. La quasi-totalité des grandes nations, sauf les États-Unis qui maintiennent leur refus, attendront la reconnaissance par la France. Les insurgés ont utilisé des monnaies spéciales comme le café et le sucre. Plus tôt, il s’agissait de Maravedis, des pièces de 8 réaux et autres moços, monnaies découpées et contremarquées. L’histoire monétaire de l’île de Saint-Domingue est aussi mouvementée que son climat. D’ailleurs, des découvertes monétaires (thésaurisations enfouies pas des colons menacés et autres) sont parfois mises au jour au gré des aléas du climat peu clément de l’île comme les tempêtes tropicales. La livre et ses divisions sont utilisées sur l’île en concurrence avec la gourde en place, jusqu’en 1815. En effet, le principe monétaire de Saint-Domingue était l’appartenance nominale au système monétaire français par l’institution de la livre coloniale et par les monnaies de compte. L’utilisation de monnaies étrangères comme les monnaies espagnoles et portugaises était aussi répandue. Le besoin de petites monnaies (hormis argent et or) était considérable pendant les années de soulèvement (1792 – 1804). Cette surutilisation de menues monnaies était due à la forte thésaurisation des monnaies d’or et d’argent et à l’exportation des piastres en place. Des monnaies de bronze ont alors été fabriquées sur place et ce, sans utilisation de coins monétaires, mais par l’imitation de monnaies françaises circulantes. L’atelier du Cap situé au Nord satisfaisait les besoins pour cette partie de l’île mais au sud, un autre atelier monétaire était situé – probablement - à Jacmel. Il y aurait était fabriqué les sols contremarqués des lettre SD (pour Saint-Domingue), des sols imités des sols aux balances du royaume de France (illustration vente CGB : https://www.cgb.fr/1-sol-dit-a-la-table-de-loi-1801-lec-11-b,v28_1629,a.html), ainsi que des monnaies à l’effigie de la République, reconnaissables car elles sont coulées et possèdent sur un type, des lettre inversées tels que les N pour les Un décime et les S pour les 1 Sol aux balances, comme sur les illustrations ci-dessus. LA DÉCOUVERTE Àla lecture de ce contexte tourmenté, on comprend que la numismatique de ce lieu peut réserver de belles surprises et susciter une passion thématique des plus intéressantes. Dans mes recherches, je suis tombé sur des monnaies à l’aspect frustre et même repoussantes compte tenu de l’état de conservation. À y regarder de plus prés je constate qu’elles sont différentes et qu’il s’agit d’autre chose que ce que je manipule régulièrement. Ces décimes sont vraiment particuliers. Il suffit de faire une simple comparaison pour voir ces différences. L’image ci-dessous se passe de commentaire. À gauche un décime SD aux N rétrogrades (Type 1), au milieu un décime officiel frappé en France et à droite, un décime SD jaune (Type 2). Les prix observés ont aussi attisé ma curiosité ; mais pourquoi de si « vilaines » monnaies atteignent-elles des sommes si importantes ? La réponse est simple. C’est un savant mélange de rareté, dû à une quantité de fabrication faible (mais aucun chiffre ne nous est encore parvenu) et à un taux de survivance faible, lui-même issu d’un contexte historique des plus montueux. Aujourd’hui, faire des recherches sur le net permet de se faire une idée assez précise de la rareté d’une monnaie. On la trouve facilement, ou pas. Il y a de nombreuses photos sur la toile, ou pas. Les références dans les ouvrages numismatiques et sur les sites sont monnaie courante, ou pas. Il y a pléthore d’informations sur le sujet, ou pas. Bref, avec les monnaies de Saint-Domingue et plus particulièrement les décimes, j’ai souvent été confronté au « ou pas ». Par exemple, les décimes SD sont très rares dans les VSO. J’ai recensé seulement 4 exemplaires dans les archives remontant à 2000. Ils sont donc convoités et peu de collectionneurs ont la chance d’en avoir un exemplaire. On croise rarement aussi les Un Sol aux balances et les 2 Sols au faisceau à la vente. Concernant les Un Sol, je n’ai observé que 4 ventes et 6 pour les 2 Sols. Venons-en aux faits : avoir un décime SD est une chance compte tenu de l’histoire qui galvanise cette monnaie. Trouver un exemplaire inédit de ce monnayage rare et recherché relève de l’inespéré. C’est en cherchant sans cesse un décime SD que je suis tombé sur une Cinq Centimes SD. Tous les ingrédients y sont. La Marianne a les mêmes traits, les feuilles et les écritures sont frustres et « manuelles ». Bien entendu, il n’y a aucune preuve officielle écrite de son existence supposée. Il en va de même pour les décimes d’ailleurs. Mais les similitudes sont évidentes. Il s’agit bien d’une monnaie artisanale issue d’un moulage grossier imité des monnaies circulantes officielles. Cet exemplaire encore inconnu n’est pas si surprenant. En effet, comme nous n’avons pas de documents officiels sur la fabrication des monnaies dans les ateliers du Cap et de Jacmel, il est possible qu’il y ait été fabriqué diverses monnaies pour pallier la disette des menues monnaies, comme des décimes et des Cinq centimes. Cette période d’insurrection a aussi laissé peu de chances aux documents d’arriver jusqu’à nous. Beaucoup ont certainement été brûlés et détruits. Ajoutez à cela les différentes catastrophes qui n’ont pas épargné cette île en 200 ans comme les tempêtes tropicales et les séismes. Il est aisé de comprendre pourquoi il n’existe pas de trace officielle de ces monnaies qui, ironie du sort, sont par définition, elles-mêmes non-officielles puisqu’imitations. Celles qui ont été fabriquées ont donc eu mille occasions de disparaître. Cela explique cette rareté et en même temps, l’horizon numismatique ne peut que s’ouvrir à nous. Cette découverte en est la preuve et d’autres exemplaires seront peut-être découverts. Quoi qu’il en soit, trouver une monnaie inédite est toujours un moment privilégié et rare. Le partager permet de faire avancer la numismatique. La publier est le moyen d’établir un lien indéfectible entre le passé et le présent, ce qui, pour cette Cinq Centimes de Saint-Domingue, prend tout son sens. L’usure prononcée de mon exemplaire assoie un peu plus sa véracité. Il a beaucoup circulé et a traversé le temps et les océans. Si cette monnaie pouvait parler… En conclusion, je reviendrai sur les éléments qui me font dire que cette monnaie est bel et bien issue du monnayage de Saint-Domingue, c’est-à-dire une imitation artisanale du monnayage de France. • Monnaie d’aspect frustre Marc BAZOGE ADF 447 |
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