Dans l’ouvrage à paraître sur les monnaies royales et de la Révolution française frappées entre 1610 et 1794, plusieurs notes seront consacrées à certains faux. Il y a bien entendu les faux chinois de Louis XIV et de Louis XV qui sont apparus vers 2006 et qui ont été référencés sur le site de Franck Chétail. Ceux-ci ont donné lieu à de nombreuses publications dans le Bulletin Numismatique. Les faux d’époque sont tout aussi problématiques. Avec Charles Froidevaux, nous avons mis en évidence qu’il existait à la fin du règne de Louis XIV en Suisse une industrie très développée de la fausse monnaie. Derrière ces fabriques étaient établis des financiers, des banques et une bonne partie de l’oligarchie suisse organisés autour de vastes réseaux1. À titre d’exemple, Jean-Jacques Schmied, graveur établi à Neuchâtel, a déclaré avoir à lui seul fait 200 000 faux louis d’or, et le graveur de la Monnaie de Lyon de conclure, à l’examen des monnaies de Schmied, qu’elles étaient fausses car mieux gravées que les siennes ! Autant dire que face à de telles révélations le travail du numismate professionnel se trouve sérieusement compliqué.
Fig. 1
Dernièrement, nous avons comparé un certain nombre de monnaies frappées à Lille durant la période 1722/1723. Nous avons été effarés par la grande variété de portraits parfois de bonne facture, mais avec quelques éléments éloignés du poinçon original. Le monnayage des premières années du règne de Louis XV, notamment à la faveur des grandes variations de cours liés aux billets de Law puis à la banqueroute qui suivit, fut particulièrement copié par les faux monnayeurs. Nous avons récemment fait retirer d’une vente un louis d’or au deux L de l’atelier de Bayonne d’un style plus que douteux, pourtant sous coque ; il portait le millésime d’une année durant laquelle cet atelier était en chômage ! Nombre de faux d’époque de bon or ont été vendus en toute bonne foi par des numismates professionnels sérieux sans volonté de nuire aux collectionneurs. Ces monnaies destinées à tromper leurs utilisateurs contemporains peuvent encore nous tromper de nos jours ! Ces faux constituent des témoignages émouvants et intéressants sur le plan historique, ils devraient avoir une cote, mais nous ne leur en assignerons pas dans l’ouvrage à paraître. Nous nous contenterons d’avertir le collectionneur par le biais de notes. Afin de distinguer les exemplaires authentiques des faux, nous publierons dans l’ouvrage un agrandissement des poinçons de buste des graveurs généraux (fig. 1) et, pour chacune des monnaies retrouvées, les différents des maîtres/directeurs et graveurs. Les numismates, aussi bien collectionneurs que professionnels auront ainsi à disposition un outil efficace et simple d’utilisation. Afin d’illustrer nos propos, prenons par exemple le louis d’or aux deux L frappé sur des flans de conversion (flans neufs) en 1722 à Lille.
D’après nos recherches en archives (AN, Z1b 298 et 319), le poids d’or monnayé fut de 2 055 marcs 15 deniers, et 53 exemplaires ont été mis en boîtes. Nous pouvons estimer la quantité frappée à 51 377 louis d’or. Ces monnaies furent délivrées entre le 4 janvier et le 30 décembre 1722. Il s’agit de monnaies relativement rares : la quantité frappée est relativement faible et elles ont fait l’objet de refontes lors de la frappe des louis dits « mirliton » (1723-1725) et des louis d’or dits « aux lunettes » (à partir de 1726). Au sein des ventes de ces dernières années, nous avons pourtant recensé huit exemplaires différents proposés à la vente, ce qui fait beaucoup au regard de la production de l’atelier. En analysant la gravure de ces monnaies, seules deux semblent être issues de l’atelier monétaire de Lille, les autres seraient l’œuvre de faussaires du temps. Les exemplaires authentiques présentent une effigie conforme à celles du poinçon original gravé par Roëttiers (fig. 1). De plus nous y trouvons une barre aux angles rectangulaires bien dessinés et placée après REX : il s’agit du différent du directeur Jean-Baptiste Baret (1705-1713). Les exemplaires authentiques présentent de plus un point secret sous le X de XV et un losange entre VINCIT et IMPERAT, différent du graveur Hardy.
Voici les deux exemplaires authentiques que nous avons pu recenser :
Fig. 2 - Monnaies d’Antan, vente 14, 21 novembre 2013, n° 489 - Monnaies d’Antan, vente 15, 16 mai 2014, n° 763 - Elsen, vente 123, 6 décembre 2014, n° 778.
Fig. 3 - Heritage, vente 3057, 7 septembre 2017, n° 30701 - Sincona,
vente 46, 14 mai 2018, n° 355.
Fig. 4
Fig. 5
Les six autres exemplaires illustrés ne peuvent être authentiques pour les raisons que nous développons. Ils ne présentent jamais de losange entre VINCIT et IMPERAT (fig. 4-9). Le buste du roi est réalisé avec plus ou moins de maîtrise mais est toujours assez différent du poinçon original de Roëttiers. Le carré d’un faux louis (fig. 4) a été réalisé par un graveur faisant preuve d’une grande maîtrise, avec un très joli portrait, tandis que d’autres sont l’œuvre de graveurs moins doués (fig. 9). La barre du directeur ressemble parfois à une massue (fig. 7 et 9) et le point sous le X de XV a parfois été oublié (fig. 8-9). Dans la plupart des cas, les poinçons de lis, de couronnes… ne sont pas conformes aux poinçons originaux. Certains auteurs ont créé des variétés avec des louis « au petit buste large » ou au « petit buste étroit ». Dans les faits, il n’y a qu’un seul poinçon de buste, et ces variantes résultent de l’intégration de faux d’époque au sein des monnaies officielles. Avec les louis d’or aux deux L de Lille, nous nous retrouvons avec trois fois plus de faux que d’exemplaires authentiques2. Nous avons également retrouvé deux faux louis d’or au différent de Lille (W) et au millésime 1721 (fig. 10-11). L’un deux est frappé sur un flan réformé mais ne présente pas le trèfle, différent de réformation (fig. 11). Il est permis de supposer que ces faux ont été réalisés au nord de la France, dans l’actuelle Belgique. La frappe de ces faux est bien attestée par les archives . Elle a même donné lieu à l’ouverture de registres spécifiques au sein du change des ateliers monétaires afin notamment de connaître le nom des personnes y déposant des faux louis3.
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Cette industrie du faux n’a pas seulement touché les pièces d’or. Les monnaies d’argent doivent être regardées avec la plus grande prudence. Nous donnons ci-après la photographie d’un faux écu dit « de France » frappé sur flan réformé au millésime 1721 et au différent de Lille (W). Nous avons pu repérer deux exemplaires issus des mêmes coins (fig. 11-12). Les tiers d’écu réformés sur des quarts d’écu de Navarre, d’un style assez bon et faisant l’objet de numéros spécifiques dans certains ouvrages de référence, devraient être analysés avec la plus grande précaution. Il reste encore un grand ménage à faire…
1 - Clairand (Arnaud), Froidevaux (Charles), « L’industrie des fausses monnaies françaises au Pays de Neuchâtel », Revue historique Neuchâteloise, n° 3, 1999, p. 173-212 et Froidevaux (Charles), Histoire économique et monétaire en Suisse occidentale (1589-1818), Neuchâtel 2019.
2 - Cela est déjà le cas pour certaines séries monétaires, comme le louis d’or aux insignes au millésime 1704 et au différent de Caen (C), Jambu (Jérôme), « Fausses réformations de louis d’or « aux insignes » au millésime 1704 et à la marque d’atelier C », BSFN, mars 2012.
3 - Cf. notamment registre AD Indre-et-Loire, B 112. Cf également Clairand (Arnaud) et Jambu (Jérôme), « La circulation des faux louis d’or dans les ressorts des Monnaies de Caen et de La Rochelle (1726-1737) », Numismatique et Archéologie en Poitou-Charentes, RTSENA, actes du colloque de Niort, 7-8 décembre 2007, p. 173-184.