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LE DIFFÉRENT DE JEAN I BOIVIN,
MAÎTRE GRAVEUR DE LA MONNAIE D’ANGERS (1580-1610)
Durant la première moitié du XVIe siècle, la Couronne réorganise profondément le milieu monétaire afin de mieux l’encadrer et surtout de mieux le contrôler. Un moyen de marquer ce contrôle est d’imposer à chacun des principaux responsables de la production monétaire, maîtres d’atelier et graveurs, de certifier personnellement la qualité de leurs réalisations. Pour cela, ils se voient désormais contraints de signer les pièces d’une marque distinctive dûment enregistrée et conservée à la Cour des monnaies. À travers le royaume, chaque maître d’atelier, chaque graveur particulier, se choisit alors un symbole spécifique appelé « différent ». Toutes ces marques personnelles sont autant de signatures graphiques, dont l’inventaire offre un riche catalogue symbolique.
Ces différents monétaires personnels sont tout à fait assimilables aux fameuses marques de tâcherons, ces symboles personnels gravés par les tailleurs de pierres que l’on observe parfois le long des remparts des châteaux et des murs des cathédrales.
Le recours aux lettres initiales du nom et/ou du prénom est le choix le plus simple pour une signature immédiatement identifiable. Au cours du XVIe siècle, alors que l’écrit distingue l’élite lettrée et prend une place croissante grâce au développement de l’imprimerie, les différents monétaires reprenant les initiales de leur titulaire sont extrêmement répandus. Ils représentent même près de 80%1 des cas observés ! Cette pratique se prolonge un peu durant les premières années du XVIIe siècle puis elle disparaît totalement.
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Figure 1
Teston du 11e type de Charles IX frappé à Lyon en 1573. Il porte en fin de légende de l’avers les lettres AM, initiales du graveur André Morel ©Cgb.fr
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Figure 2
Demi-franc d’Henri IV frappé à Lyon en 1595. Il porte en fin de légende de revers les lettres IF, initiales du graveur Jean Filliard ©Cgb.fr
On distingue trois catégories :
- l’initiale du nom et du prénom. La signature peut prendre la forme de l’ajout des initiales dans la légende. On retrouve plusieurs occurrences à Lyon par exemple avec les lettres AM placées en fin de légende, signature d’André Morel, maître de la Monnaie de 1573 à 15932 (fig. 1), une pratique reprise par son successeur Jean Filliard, maître de la même Monnaie de 1594 à 1597 qui place également ses initiales IF en fin de légende (fig. 2). Les initiales peuvent aussi être distinguées par un point sous les lettres correspondantes dans les légendes. Ainsi, Guillaume Ancel, graveur à la Monnaie de Rouen de 1545 à 1561 (fig. 3), ajoute un point sous le A de l’avers et un autre sous le G du revers3.
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Figure 3
Teston à la tête nue du 1er type d’Henri II frappé à Rouen en 1554. Il porte un point sous le A à l’avers et G au revers, lettres initiales du graveur Guillaume Ancel ©Cgb.fr
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Figure 4
Écu d’or au soleil du 5e type de François Ier frappé à Bordeaux vers 1519.
Il porte un R à la fin des légendes, lettre initiale du graveur Robert Girault
©Cgb.fr
- l’initiale du seul prénom, c’est, de loin, le cas le plus rare. Comme dans la catégorie précédente, la signature peut être marquée par l’ajout de l’initiale du responsable monétaire dans la légende officielle. C’est le cas à Bordeaux avec un R qui apparaît en fin de légende des écus d’or du 5e type (fig. 4). Ce R est la signature de Robert Girault, maître de la Monnaie de Bordeaux de 1519 à 1528. Ou bien, la signature apparaît par l’ajout d’un détail près d’une lettre de la légende qui correspond à l’initiale recherchée. C’est le cas de Côme Ménard, graveur à la Monnaie de Nantes de 1575 à 1604, qui place un point dans les C des légendes (fig. 5)4.
- enfin l’initiale du seul nom, c’est le cas le plus courant. La signature peut prendre plusieurs formes, comme l’ajout de la lettre initiale dans les légendes, ainsi le R des La Roche, père et fils, maîtres de la Monnaie de Poitiers durant les années 1530-1540 (fig. 6). La signature peut aussi être marquée par l’ajout d’un point placé sous une lettre de la légende correspondant à l’initiale de l’officier monétaire. C’est le cas par exemple sur les premières pièces gravées à Nantes par Germain Menfaix qui signe ses douzains à la croisette de François Ier d’un point sous un M de la légende du revers (fig. 7)5.
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Figure 5
Franc d’Henri III frappé à Nantes en 1578. Il porte un point dans les C, lettre initiale du graveur Côme Ménard ©Cgb.fr
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Figure 6
Teston du 1er type de François Ier frappé à Poitiers. Il porte un R à la fin des légendes, lettre initiale du graveur Jean de la Roche ©Cgb.fr
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Figure 7
Douzains à la croisette de François Ier frappés à Nantes vers 1540. Ils portent tous deux des points placés sous des lettres M au revers (6e et 11e), lettre initiale du graveur Germain Menfaix © Suffren Numismatique
Jean Boivin, graveur à la Monnaie d’Angers de 1580 à 1610, entre dans cette dernière catégorie. Jusqu’à présent son différent n’avait jamais été identifié et les sources manquent. Mais la consultation récente de plusieurs monnaies angevines, demi-francs, quarts et huitièmes d’écu, frappées durant l’exercice de Boivin, a permis de distinguer des exemplaires portant un point dans la partie basse du B de BENEDICTVM (fig. 8) ! À n’en point douter, il s’agit du différent du graveur Jean Boivin : celui-ci marquait donc l’initiale de son patronyme. Pour l’instant toutefois, cette marque n’a été vue que sur des pièces millésimées de 1600 à 1606 (fig. 9 et 10).
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Figure 8
Huitième d’écu frappé à Angers en 1602. Il porte très distinctement un point dans la partie basse du B de BENEDICTVM, différent du graveur Jean Boivin. © collection Yohann Riou (Angers)
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Figure 9
Demi-franc frappé à Angers en 1600. Plus ancienne monnaie observée avec le point dans le B. © Gallica.fr
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Figure 10
Demi-franc frappé à Angers en 1606. Plus récente monnaie observée avec le point dans le B. ©Cgb.fr
Il est probable qu’avant 1600, Boivin utilisait une autre marque, mais celle-ci reste encore à identifier. Aussi invitons-nous les lecteurs du Bulletin numismatique à porter un regard nouveau sur leurs monnaies angevines d’Henri III et Henri IV et à nous faire part de leurs observations et découvertes.
Gildas SALAÜN
Chargé des collections de numismatique
Grand Patrimoine de Loire-Atlantique, Nantes
1 Jambu, Jérôme, « Sens et symbolique des différents des maîtres et directeurs des Monnaies dans le royaume de France à l’époque moderne (milieu du XVIe siècle fin du XVIIIe siècle) », dans Héraldique et numismatique, Moyen Âge, Temps modernes. Yvan Loskoutouff (dir.), Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2013, p. 109-122 ; voir p. 111.
2 Les dates d’exercice des graveurs mentionnées dans ce texte sont toutes données d’après Sombart, Stéphan, Catalogue des monnaies royales françaises de François Ier à Henri IV (1540-1610), Paris, les Chevau-Légers, 1997, 560p.
3 Salaün, Gildas, « Le différent de Guillaume Ancel, graveur à la Monnaie de Rouen au milieu du XVIe siècle retrouvé ? », Bulletin Numismatique n° 168, p. 22, septembre 2017 https://www.bulletin-numismatique.fr/bn/pdf/bn168.pdf
4 Salaün, Gildas, « Côme Ménard (1553-1604), maître orfèvre et graveur à la Monnaie de Nantes », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, t. 155, 2020, p. 115-140 https://www.cgb.fr/come-menard-1553-1604-maitre-orfevre-et-graveur-de-la-monnaie-de-nantes-salaun-gildas,lc195,a.html
5 Salaün, Gildas, « Découverte du différent de Germain Menfaix, graveur à la Monnaie de Nantes au milieu du XVIe siècle », Bulletin Numismatique n° 157, p. 24-26, octobre 2016 https://www.bulletin-numismatique.fr/bn/pdf/bn157.pdf