Pauvre Crésus, ce ne serait pas en Lydie au VIe siècle avant notre ère que serait née la monnaie, mais en Egypte, que l’histoire avait laissée orpheline de toutes structures monétaires.


Ce lingot en forme de goutte a une hauteur de 42 mm, une longueur de 20 mm et une épaisseur de 7 mm pour une masse de 41,55 g.
Un deben égyptien a une masse de 91 g. Nous serions en présence d’un demi deben (ou de 5 qites, 1 deben valant 10 qites). L’ écart de 8,7 % sur la masse attendue de 45,50 g ne donnera aucun souci au commun de la numismatique.
Il provient de la collection Roger Pereire (décédé en 1968) et d’une collection privée genevoise depuis (sa fille ayant cédé ces lingots dans les années 70). L’objet en question qui est le lot 101 est proposé par la maison de vente NUMISMATICA GENEVENSIS SA dans ses enchères n°12 qui doivent avoir lieu le 18 et le 19 novembre 2019.
L’arête sur le haut du lingot montrerait la marque de la tenaille qui aurait sectionné le métal avant sa solidification.
Ce lingot est en argent avec une pureté de 98,54 %, il a donc été artificiellement raffiné par un orfèvre. L’Egypte ne possédait aucune mine d’argent. On peut imaginer que le métal précieux provenait d’échanges avec des cités du Proche-Orient, telles qu’Ougarit, Byblos ou Beyrouth. La rareté et le raffinement du métal donnent à cet objet un caractère particulier.
On observe un poinçon en forme de cruche, de broc, de vase à anse ou de jarre. Dans cette empreinte, qui n’est pas un cartouche, on lit : « Toutânkhamon ,T-ou-t-ankh-Imen heqa-Iunu-shema » (L’image vivante d’Amon, seigneur de l’Héliopolis de Haute-Égypte).

Le nom du Pharaon n’est pas entouré du cartouche royal usuel, soit : un ovale souligné d’un trait, symbolisant l’universalité de la royauté pharaonique. Toutankhâmon est inscrit dans un cartouche en forme de jarre. La jarre aurait une traduction hiéroglyphique : « hnm », que l’on retrouve dans l’expression « hnm m hd », qui signifierait « incrusté dans l’argent ». De plus, la forme même du broc rappellerait la forme du hiéroglyphe signifiant « lingot » ( je vous le livre comme on me le rapporte...). Je subodore que la forme de cette empreinte a une certaine importance mais je ne saurais en dire plus.

À gauche : le 4e nom, à droite le 5e nom.
Chaque pharaon avait plusieurs noms, de famille, d’enfance, religieux, de couronnement. Pour Toutânkhamon, sous le règne d’Akhenaton, il a été d’abord Toutânkhaton avant le rétablissement du culte d’Amon. Les cartouches qui lui sont les plus fréquemment attribués sont le 4e nom : titre de fils de Rê : T-ou-t-ankh-Imen heqa-Iunu-shema (L’image vivante d’Amon, seigneur de l’Héliopolis de Haute-Égypte) et le 5e nom, le plus connu, celui du couronnement : le titre de roi de Haute et Basse-Égypte : Neb-Kheperou-Rê (les manifestations divines de Rê).
Cet élément aurait très probablement été produit sous le règne de ce pharaon entre 1345 et 1327 acn, sous la XVIIIe dynastie.

Un papyrus découvert dans un pot de terre à el-Hiba et acheté en 1891 par Wladimir Golénischeff nous rapporte les mésaventures d’un certain Ounamon. Ce dernier aurait été chargé aux environs de 1065 acn, par le grand prêtre du temple d’Amon à Thèbes d’aller se procurer du bois de cèdre pour la construction de la barque processionnelle d’Amon-Rê de Thèbes. Ounamon serait arrivé à Byblos où il attendait d’être reçu par le roi. Mais, en route, il devait être attaqué et dépouillé de ses lettres d’accréditation et de ses cadeaux. Le document fait état de 1000 deben d’argent pour les choses les plus diverses, de quatre cruches (comptant pour vingt deben) et un vase « kkmn » en or (comptant pour cinq deben) ; cinq cruches d’argent ; dix pièces d’étoffe en lin royal ; dix ballots de bon lin de Haute-Egypte ; 500 rouleaux de nattes ; 500 peaux de bœufs ; 500 cordages ; 20 sacs de lentilles ; 30 corbeilles de poissons ; cinq ballots de bon lin de Haute-Egypte ; un sac de lentilles ; cinq corbeilles de poissons et un petit sac d’argent de onze deben. Le petit sac d’argent était-il rempli de petits lingots ? L’existence de tels lingots aurait été confirmée par le trésor de Tôd qui contenait douze lingots d’argent, actuellement conservés au Louvre et au musée du Caire.

Ce rarissime lingot constituerait ainsi le premier objet monétaire daté au monde. La monnaie n’aura pas été inventée par le roi Crésus qui aurait tiré sa fortune de la rivière pactole. Mais, des petits lingots d’argent ont été retrouvé à d’autres endroits en des temps divers. Qui aura été le premier ? L’expression monétaire ne serait-elle pas un des premiers éléments constitutifs d’une société en tout temps et en tout lieu?
Agostino SFERRAZZA