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LA MONNAIE DE L’ÉGYPTE ANTIQUE, ESSAI NUMISMATIQUE | 11/02/2020 Informations Nous partageons ci-dessous l'article de M. Agostino SFERRAZZA précédemment paru dans notre mensuel d'informations numismatiques gratuites, Le Bulletin Numismatique, n°194 (Février 2020). J’ai toujours été frustré par l’absence d’un monnayage de l’Ancienne Égypte. Trois millénaires d’histoire, des milliers de caractères d’écritures et il faudrait accepter une carence numismatique crue. La monnaie pour ce qu’elle est, pas pour ce à quoi elle sert, et la numismatique, restent encore à définir. Le numismate n’est pas qu’un collectionneur, c’est un amoureux de l’histoire. Les articles fournissent des lignes, les livres assènent des pages. Le numismate, cet éternel enfant curieux, établit avec ses sens un contact avec la pensée, la raison, que nous transmet un certain témoignage de l’histoire, presqu’une relique et qui modifie notre esprit. Aujourd’hui en 2018, est il possible d’acheter une maison, une voiture, un terrain avec une monnaie « sonnante et trébuchante » ? Même les liasses de billets de banque ne trouvent plus leur place dans ce genre de transaction. Alors, des chiffres, des montants correspondant à une valeur établie, sont transmis virtuellement en confiance entre les parties. Dans cette situation et dans ce système, il n’existe plus de monnaies au sens « tangible » du terme. Pourtant, notre système monétaire, dans l’histoire de l’humanité, n’a jamais été aussi complexe et aussi présent. Ce serait, ridiculement réducteur de penser que le numismate n’étudie que des ronds de métal. L’expression du système monétaire, la « Monnaie » prend au cours de l’histoire les formes les plus diverses. La représentation conventionnelle, l’abstraction d’une quantité de valeur va avoir pour support entre autres des coquillages, du sel, de la nacre, de l’ambre, des broches, du métal, du papier, de la porcelaine. L’or, l’argent mais aussi le bronze en ont été des supports privilégiés. La monnaie est aujourd’hui presque entièrement dématérialisée et circule majoritairement sous des formes scripturales ou électroniques. En nous rappelant que « nomos » signifie la loi, la numismatique, la notion de monnayage, prend vie au-delà du troc quand des règles établies et acceptées en confiance par une communauté régissent en justice plus qu’en équité les transactions entre les membres de cette communauté. Alors apparait un système monétaire. La numismatique n’étudie pas seulement la monnaie mais aussi et surtout la loi qui régit le système monétaire. La symbolisation, la matérialisation, l’étalonnage, l’abstraction de l’expression du système monétaire, de l’outil monétaire n’est qu’un détail que la communauté établit en consensus et en confiance. En fait, c’est la communauté elle-même qui garantit la valeur de la monnaie symbolique qu’elle s’est attribuée, elle en dimensionne la confiance qu’on peut lui accorder et que chaque membre de la communauté accepte. J’ai relevé dans la littérature cette définition : la monnaie est une créance circulante sur la collectivité qui permet à son détenteur du moment de s’approprier une fraction de la richesse ou de la dette nationale. Aristote définit le système monétaire par trois fonctions : la fonction d’intermédiaire dans les échanges - il s’agit du paiement comme nous l’entendons, qui se défait des aléas et de l’inéquité du troc. En d’autres termes, c’est un équivalent de justice dans une société. Comme le propose Brieuc, la monnaie est une représentation symbolique, conventionnelle et durable de la valeur d’un travail, un moyen d’échanger le travail de l’un (symbolisé par la monnaie qu’il porte) contre le travail de l’autre (désormais démuni du fruit de ce travail, mais porteur de la monnaie qui le symbolise). La fonction d’unité de compte. On crée une unité de compte abstraite qui tient en une parole. Ce sera la drachme, le denier, le solidus, la lire, le franc, le dollar, l’euro… L’usage de cet outil simplifie la transaction entre l’offreur et le demandeur permettant le calcul et la comptabilité. La valeur d’un travail se mesure par référence à celle, conventionnelle, de la monnaie qui le symbolise. L’utilisation d’une unité de compte pour établir une comptabilité précise est considérée depuis Adam Smith comme marquant le passage d’une économie de troc à une économie de marché. L’apparition d’une monnaie tangible est un équivalent d’ordre, de justice et d’évolution dans une société ; sa disparition ou son absence conduisent au servage. La fonction de réserve de valeur. La monnaie peut être accumulée en vue d’une consommation différée, ou d’un échange contre un autre actif au bout d’un certain temps. La monnaie peut aussi être vue comme un instrument de réserve, de précaution contre l’imprévu. L’acquisition du symbole de la valeur conventionnelle d’un travail permet d’acquérir le fruit d’un autre travail de valeur conventionnellement identique à un moment indéterminé dans le futur, et ce même si le fruit du travail initialement échangé contre les symboles monétaires a d’ores et déjà disparu (le pain du boulanger a été mangé à Pâques, mais la pièce contre laquelle il l’a vendu n’est dépensée qu’à Noël). Aucun objet n’est monnaie en soi. Ni le papier-monnaie, ni les dépôts n’ont une valeur de base. Intrinsèquement, un billet de un dollar n’est qu’un morceau de papier, les dépôts ne sont que des écritures comptables. Les pièces ont une valeur intrinsèque en tant que métal, mais généralement beaucoup moins élevée que leur valeur nominale. Mais alors, comment « ces objets » sans réelles valeurs peuvent-ils être acceptés en paiement ? Parce qu’ils sont investis de la confiance des gens. Une monnaie se caractérise par la confiance qu’ont ses utilisateurs dans la persistance de sa valeur et de sa capacité à servir de moyen d’échange. Elle a donc des dimensions sociales, politiques, psychologiques, juridiques et économiques. Toute monnaie est « pure confiance ». Je souhaite ouvrir une parenthèse étymologique ; le mot « salaire » vient du sel donné en salaire aux soldats romains ; la parole « obole » vient du grec obolos qui signifie petite broche, le mot « monnaie » est attribué à Juno Moneta, littéralement Junon la Conseillère ; le mot s’est perpétué car l’endroit où Rome frappait sa monnaie jouxtait le temple de Juno Moneta ; l’action de « financer » provient du latin « finis » qui signifie la fin, mettre un terme, ce qui évoque la fin de l’échange, c’est-à-dire le remboursement de la dette ; le « sou » provient du latin solidus qui voulait dire solide, parce que le sou résistait au feu et à l’inflation… La même racine latine a donné les mots : solde et soldat ; le soldat est donc celui qui touche la solde pour salaire… Le mot « crédit » vient du latin credere qui se traduit par croire, avoir confiance ; le « débit » vient du latin debitus qui signifie ce qui est dû, la dette. Le mot « cheptel » vient du latin capes, capitis qui se traduit par la tête (de bétail). Le latin capitis a aussi donné « capital ». Le mot latin pecus pour bétail a donné les mots « pécunier » et « pécule ». Ce langage, s’intègre dans la vie d’une communauté et révèle l’essence d’un système monétaire. Un système monétaire a-t-il existé en Ancienne Égypte ? L’Égypte antique semble prendre son essor trente-et-un siècles avant notre ère, avec l’unification de la Haute-Égypte au sud et de la Basse-Égypte au nord sous le règne de Narmer, le premier pharaon. La civilisation égyptienne connaît son apogée entre 1500 et 1000 acn. Cette période dite du « Nouvel Empire » est la plus connue de toute l’histoire égyptienne. Pendant près de cinq siècles, trois dynasties (la XVIIIe, la XIXe et la XXe) vont donner à l’Égypte le lustre que nous lui connaissons. Des pharaons comme Amenhotep, Thoutmôsis, Hatchepsout, Akhénaton, Toutânkhamon, Horemheb, Ramsès, Séthi, Taousert, Sethnakht assurent l’expansion territoriale de leur royaume ainsi qu’un développement culturel et architectural considérable. Après cette période de grande prospérité, le pays subit les assauts répétés de puissances étrangères et connaît un lent déclin jusqu’à ce que la terre des pharaons tombe sous le joug de Rome en 30 acn. Selon l’historien grec Hérodote, « l’Égypte est un don du Nil ». La fortune de cette terre trouve son lit dans ce fleuve sacré. Les crues du Nil apportent un limon noir qui fertilise le sol, l’enrichissement de ses rives favorise le développement de l’agriculture, l’abondance des récoltes, l’excédent de production, la prospérité avec ses corollaires qui sont le développement social, culturel, religieux, militaire et économique. L’administration par cette société de ses ressources, la création d’un système d’écriture, l’établissement de règles et de lois, la conception des mathématiques, le développement de l’architecture, la création de villes, la mise sur pied d’une armée puissante vont affirmer la domination de l’Égypte sur son espace et asseoir sa puissance dans le temps et dans l’histoire. Une armée de scribes, de fonctionnaires, d’administrateurs, d’ingénieurs, de prêtres, de comptables… sous l’égide du pharaon va assurer la cohésion de ce monde pendant plusieurs millénaires. Il est évident que ce système a fonctionné avec succès et splendeur tant son lustre nous atteint encore. La conception, l’acquisition de symboles religieux, de symboles d’écriture ne laissent aucun doute sur le fait que cette civilisation avait acquis une capacité d’abstraction des valeurs dans un contexte où une justice était établie dans une communauté qui se reconnaissait des aspirations communes. Il a fallu payer les ouvriers, il a fallu payer les soldats, il a fallu établir des relations commerciales avec les pays voisins. Les Égyptiens, dans la période prédynastique, établissent notamment une route commerciale avec la Nubie pour obtenir de l’or et de l’encens, une colonie stationne également dans le sud de Canaan d’où ils exportent des cruches et des céramiques. Ils nouent des liens commerciaux avec la Palestine. À partir de la deuxième dynastie, l’Égypte commerce avec Byblos pour s’approvisionner en bois de qualité. Sous la cinquième dynastie, le commerce avec le pays de Pount fournit des résines aromatiques, de l’or, de l’ébène, de l’ivoire et des animaux sauvages tels que des singes et notamment des babouins. D’Anatolie arrivent de l’étain ainsi que des réserves supplémentaires de cuivre, nécessaires à la fabrication du bronze. Le lapis-lazuli est importé du lointain Afghanistan. L’huile d’olive est achetée en Grèce et en Crète. Pour équilibrer sa balance commerciale, l’Égypte exporte surtout des céréales, de l’or, du lin, du papyrus, ainsi que d’autres produits finis parmi lesquels du verre et des objets en pierre. Il est évident qu’un système monétaire précis, rigoureux, mesuré, codifié, calculé, mémorisé et régulé a eu cours dans cette civilisation qui maitrisait le π, l’abstraction du nombre et de la valeur. Dans l’Égypte ancienne, pour les transactions courantes, les marchandises et les salaires étaient évalués en sacs de céréales, en vêtements, voire en mesures de bière ou en pains. Il serait amusant de penser que la forme ronde, plate d’une monnaie ait une quelconque relation avec la symbolisation ou la représentation d’un pain égyptien… On utilisait aussi deux mesures de poids : le séniou d’argent et le dében de cuivre. Ces matières non périssables pouvaient être thésaurisées et s’inscrire plus aisément dans un système monétaire. Dans ce contexte, un outil usagé en cuivre valait toujours son poids de métal. Près du temple funéraire de Khephren, on a retrouvé une inscription exceptionnelle qui date de la IVe dynastie, soit entre 2670 et 2450 acn. Il s’agit des attendus d’un procès. On lit : « moi Kemapou, j’ai acheté cette maison au scribe Tjenti. J’ai donné pour elle 10 anneaux châts, à savoir une pièce d’étoffe à quatre brins (d’une valeur de) 3 châts ; un lit, (d’une valeur de ) 4 châts ; une pièce d’étoffe à deux brins (d’une valeur de) 3 châts. Le scribe Tjenti, a dit : « Par la vie du roi, je donnerai ce qui est juste et tu seras satisfait à ce sujet, de telle manière que tout ce qui constitue ladite maison soit viré. Le défendeur répond alors : « Tu as entièrement effectué ces paiements (de dix châts) par virement ». Tjenti reconnaît ainsi que cette maison n’est plus sienne. Scellé au service du sceau en présence de l’Administration de la ville de la pyramide Akhet- Khoufou et en présence de témoins nombreux… » Ainsi cette maison valait 10 châts, elle aurait été acquise pour deux étoffes qui valaient chacune 3 châts, et un lit qui, lui, valait 4 châts. Le chât semble donc bien être un étalon monétaire et ceci au moins dès la quatrième dynastie. Un inventaire réalisé sur l’ordre de Ramsès III (1188-1156) mentionne entre autres choses des entrées de cuivre pour une valeur de 26 320 dében, du lin pour une valeur de 3 722 deben, de l’encens, du miel, de l’huile pour une valeur totale de 1 047 deben, des céréales pour 309 950 deben. Les gens de la rue utilisaient eux aussi ces « valeurs », des deben et des qites (1/10 de deben). On apprend qu’une certaine dame èrenofre aurait acheté une esclave pour la somme de 5 deben. On apprend encore que cette dame composa son paiement entre autres choses avec une couverture d’une valeur de 3 1/3 qites d’argent, un habit d’une valeur de 5 qites d’argent. Un papyrus découvert dans un pot de terre à el-Hiba et acheté en 1891 par Wladimir Golénischeff nous rapporte les mésaventures d’un certain Ounamon. Ce dernier aurait été chargé aux environs de 1065 acn, par le grand prêtre du temple d’Amon à Thèbes d’aller se procurer du bois de cèdre pour la construction de la barque processionnelle d’Amon-Rê de Thèbes. Ounamon serait arrivé à Byblos où il attendait d’être reçu par le roi. Mais, en route, il devait être attaqué et dépouillé de ses lettres d’accréditation et de ses cadeaux. Le document fait état de 1 000 deben d’argent pour les choses les plus diverses, de quatre cruches (comptant pour vingt deben) et un vase « kkmn » en or (comptant pour cinq deben) ; cinq cruches d’argent ; dix pièces d’étoffe en lin royal ; dix ballots de bon lin de Haute-Égypte ; 500 rouleaux de nattes ; 500 peaux de bœufs ; 500 cordages ; 20 sacs de lentilles ; 30 corbeilles de poissons ; cinq ballots de bon lin de Haute-Égypte ; un sac de lentilles ; cinq corbeilles de poissons et un petit sac d’argent de onze deben. Le petit sac d’argent était-il rempli de petits lingots ? L’existence de tels lingots aurait été confirmée par le trésor de Tôd qui contenait douze lingots d’argent, actuellement conservés au Louvre et au musée du Caire. Les Égyptiens auraient utilisé, dès l’Ancien Empire, un système définissant la valeur des marchandises par rapport à celle de l’or. A partir de la XIXe dynastie sous le Nouvel Empire, c’est l’argent qui devient la norme, probablement parce qu’il était plus en accord avec les pratiques commerciales au Proche Orient. Il aura, alors, été nécessaire de créer et de gérer un système d’unité de poids pour chiffrer la quantité de métal qui constitue la norme. Les prix des marchandises et des denrées sont fixés pour l’ensemble du territoire et sont consignés dans des listes pour faciliter les échanges. Le grain peut ainsi être échangé contre d’autres biens, selon la liste de prix fixes. Des sacs de grain ou des débens d’or, d’argent ou de cuivre pesant environ 91 grammes sont utilisés. Notons que sous l’ancien régime le dében d’or pesait 13.5 g. À titre d’exemple, une chemise aurait coûté cinq dében de cuivre, un simple ouvrier pouvait gagner cinq sacs et demi de céréales par mois (soit 200 kg), alors qu’un contremaître aurait gagné sept sacs et demi de céréales (soit 250 kg), le coût d’une vache aurait été de 140 dében. Un peintre de Deir el Médina reçoit en salaire « un vêtement tissé d’une valeur de 3 sénious, un sac d’une valeur d’un demi-sac de céréales, une natte avec couverture, soit un demi-séniou et un vase de bronze valant un autre demi-séniou ». Un esclave aurait été vendu pour deux dében d’argent et soixante de cuivre. Une chèvre ou un sac d’amidonnier auraient valu un deben de cuivre, un récipient en bronze en aurait valu vingt soit deux qites d’argent, tandis que le prix d’un bœuf variait de trente à cinquante dében de cuivre. Chabas rapporte qu’au temps des Ramsès un couteau vaut 3 dében ; un rasoir : 1 deben ; une passoire : 3 dében ; une latte de bois : 2 deben 1/2. Le recours aux trois métaux (or, argent, cuivre) permettait donc d’avoir trois monnaies, l’équivalent de nos multiples et sous multiples. Le chât avait un multiple, le deben, lequel valait 12 châts. Le qite valait un dixième de deben. D’autres unités auraient été utilisées : le Shâty, le Shenâ (ou Shenâou, Shenât, Shenâty)… Vers l’époque des Ramsès II (pharaon de la XIXe dynastie, 1279-1212 acn), le chât disparaît complètement des textes comptables, ceux-là ne faisant plus référence qu’au deben.
Le deben (ou tabonon ou encore dabnou) signifie littéralement anneau de métal. Dans l’Ancien Empire, le deben pesait 13,5 grammes, puis, au Moyen et au Nouvel Empire, sa valeur est définie entre 90 et 91 grammes. Le deben était subdivisé en 10 qites (ou kite ou quedet ou qité) (1 qité = 9,1 grammes) ou en 12 sénious (ou châts). Un sénious équivaut à environ 7,6 grammes.dbn - http://fr.wikipedia.org/wiki/Deben Certains ont pressenti qu’il aurait pu exister un support monétaire que l’archéologie ne nous a pas encore restitué. Les unités de comptes de l’Égypte ancienne : le chât, le deben évoqueraient la notion d’anneau de métal. Comme le rapporte Pirenne : un acheteur donne-t-il à un marchand de légumes un anneau en lui disant : « Tiens, voici pour toi une chât excellente, c’est ton dû ». Anneau, chainon manquant… qui apparait tout de même sur les parois de tombes de l’Égypte Antique… Tombe de Nebamon, TT181, Louxor http://www.nbbmuseum.be/fr/2012/05/nederlands-geldgebruik-in-het-oude-Égypte.htm Remarquez que l’on pèse des anneaux d’or à l’aide d’un poids…
La collection de poids du musée du Louvre. La tête de veau pèse 216,5 g et provient du temple de Ramsès III à Médinet Habou. Le deben pèse 13,5 grammes lorsque l’on pèse de l’or, et 27,3 grammes lorsqu’on mesure du cuivre. Au Nouvel Empire, le deben adopte un poids fixe de 91 grammes. Les poids utilisés sont quasiment toujours de pierre ou de bronze. Si certains sont en forme de sphères et d’autres en forme de palets dont la base est aplanie et le sommet bombé, certains poids, surtout au Nouvel Empire et à la Basse Époque, prennent la forme d’animaux. La collection de poids du département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre présente des poids d’un vingtième de deben (4,8 g), 1/10e (10,36 g), 1/5e (17,71 g), 1/2 (45,16 g et 45,2 g, soit 5 qités), 1 deben (97,6 g, 89,12 g ou encore 92,43 g en forme de bouquetin), 3 deben en forme de lièvre (274,7 g), 6 deben en forme de lièvre (532,7 g), 24 ou 25 deben (2,346 g, sous forme de sphère et palets), et un poids de plus de 3 kg. http://egyptopedia.fr/img-entrees/deben.jpg
Il semble pourtant que même si l’on déclarait que tel produit valait tel poids d’argent, les Egyptiens répugnaient à matérialiser ce poids de métal par une masse palpable. L’or était la chair des dieux, et l’argent leurs os. Remarquons que les Chinois n’ont pas utilisé l’argent et l’or dans leur monnayage, que les anciennes civilisations, notamment grecques et romaines, réservaient l’usage de monnaies d’or et d’argent pour des transactions importantes ou prestigieuses et que notre système monétaire n’utilise plus ces matières « précieuses » pour le « paiement de tous les jours », le réservant entre autres à la bijouterie. Mon ami Philippe Graulich m’expliquait qu’une trop grande valeur intrinsèque d’un signe monétaire risquerait d’être un obstacle à sa fonction, dans la mesure où il serait alors retiré de la circulation pour être thésaurisé. Il cesserait d’être une monnaie pour devenir une valeur, comme le jade, l’or, l’argent, les pierres précieuses. Certains ont émis l’hypothèse que l’usage de métaux précieux dans le monnayage, ou tout simplement l’usage d’un monnayage tangible, plaçait le système monétaire à la merci d’éventuelles fraudes… Chassinat évoque l’apparition au VIe siècle avant notre ère de l’argent « ouotekh ». Il s’agissait d’un lingot marqué, άργύριον έπίσημον, provenant surtout du trésor de Ptah à Memphis. En 525 acn, après une phase de déclin ponctuée de nombreuses invasions, l’Égypte est conquise par Cambyse II, roi Achéménide. La terre des pharaons tombe sous la domination perse et devient une satrapie. Elle est astreinte à un tribut annuel de 700 talents d’or et à la fourniture au grand roi de produits en nature. Elle doit de plus subvenir à l’entretien de l’armée perse d’occupation estimée à 120 000 hommes.
Les Perses connaissaient et utilisaient la monnaie. Les gouverneurs, appelés satrapes, avaient le pouvoir de frapper des monnaies d’argent, l’émission de monnaies d’or étant l’apanage du Grand roi.
C’est donc pendant cette période et dans ce contexte que la monnaie comme nous l’entendons caricaturalement, ronde, sonnante et trébuchante est introduite en Égypte depuis l’étranger. Les Perses seront chassés par les derniers pharaons autochtones en 404 acn.
De 404 à 343 acn, trois dernières dynasties égyptiennes (XXVIIIe à XXXe) existeront encore. Au IVe siècle avant notre ère, l’empire Achéménide qui se remet de ses péripéties dynastiques et des révoltes des territoires conquis, reprend peu à peu une politique impériale, réduisant toute résistance par la force, et finalement tourne à nouveau ses vues vers l’Égypte. Le pharaon Téos (Tachos), associé au trône de son père Nectanebo Ier depuis 365, qui règne seul depuis 362, doit faire face à cette nouvelle menace d’invasion. Je ne peux m’empêcher de vous soumettre ces deux monnaies et de vous proposer une comparaison. Au droit, les différences essentielles portent sur l’œil, la bouche et le profil. Au revers sur les ailes, les plumes, les yeux de la chouette. Téos prélève de lourdes taxes notamment auprès des temples afin de battre monnaie pour pouvoir payer des contingents de mercenaires qu’il appelle à son secours. Le pharaon Téos tout comme Nectanebo II plus tard, ne peut que faire appel à des soldats grecs qui, eux, ont l’habitude d’être payés en argent comptant. On voit alors apparaître des pièces imitant le monnayage grec et des monnaies d’or dites « nb nfr » assez rustiques, inspirées des monnaies perses, mais dont l’usage restera limité. C’est de leur règne que datent les plus anciennes pièces de monnaies égyptiennes conservées à ce jour. C’est pour cette raison que ces pharaons sont présentés comme les premiers pharaons à avoir fait frapper une « monnaie égyptienne ». Notons tout de même qu’une monnaie en argent se trouvant au British Museum, du type athénien, porterait au revers entre la chouette et ΑΘΕ la marque, qui pourrait être le cartouche du pharaon Akoris…
Il me semble important, à ce stade, de signifier que l’attribution de ce type de monnaie de bronze, « au bélier et à la balance », à Nectanebo II n’est pas reconnue par tous et que la production de ce monnayage sur le sol égyptien est plus qu’incertaine, voire spéculative. Kevin Butcher estime que ces monnaies ont été produites au nord de la Syrie, d’autres en Cilicie ou à Antioche.
Ces monnaies d’or présentent au droit, un cheval caracolant surmonté du signe nb qui signifie or ; le cheval caracolant se lit nfr ; c’est donc la marque de l’or parfait. Au revers, l’inscription a la même valeur phonétique, mais les signes hiéroglyphiques sont plus classiques : collier nb traversé par le signe du cœur et de la trachée nfr ; de chaque côté, un cadre de grènetis. La masse de chacune de ces monnaies est assez variable, mais, en moyenne, elle est voisine de 8,40 g, ce qui la rapproche beaucoup de celle de la darique, pour Jenkins, ou des statères d’or de Philippe et d’Alexandre de Macédoine, pour Chassinat. Téos lève une armée dans le pays et marche avec ses alliés contre les Perses avant que leurs troupes ne se rapprochent trop du Double pays. Toutes ces mesures lui attirent une impopularité telle qu’il laisse la régence du pays à son frère Tjahépimou prince de Mendès qui, profitant du mécontentement général contre Téos et bénéficiant de l’appui du roi de Sparte, Agésilas II, fait proclamer roi son fils Nakhthorhebyt, le futur Nectanebo II. Téos est forcé de s’enfuir et trouve refuge auprès du Grand roi perse ! Nectanebo II, né aux environs de 360 acn est le troisième et dernier pharaon de la XXXe dynastie. Sous son règne, l’Égypte connaît ses dernières années de paix et d’indépendance. Pendant dix-huit années il réussit à éloigner la menace toujours présente de l’invasion perse. En 351, le roi perse Artaxerxés III Okhos attaque, au même moment, une rébellion éclate en Asie Mineure. Le grand roi décide de marcher tout de même sur l’Égypte. Après une année de lutte contre le pharaon, une épidémie de peste se déclare dans son armée. Il est alors contraint de se retirer. Cet échec donne aux peuples soumis de son empire un espoir de liberté. Des villes, des régions se soulèvent, Chypre et la Phénicie proclament leur indépendance.
L’Égypte manque l’occasion de prendre la tête des peuples révoltés. Après quelques déboires, Artaxerxés III matte les révoltes et reprend le contrôle de son empire. Selon Diodore de Sicile, dans la 18e année du règne d’Artaxerxés III et de Nectanebo II, en décembre 342, le roi attaque sur trois fronts et place à la tête de chacun un Perse et un Grec. Les commandants grecs étaient Lacratès de Thèbes, Mentor de Rhodes, et Nicostratès d’Argos et les Perses étaient Rhossacès, Aristazanes et Bagoas, le chef des eunuques. Artaxerxés III aligne plus de 330 000 hommes ; 14 000 Grecs fournis par les cités grecques d’Asie Mineure, dont 4 000 commandés par Mentor de Rhodes (3 000 envoyés par Argos et 1 000 par Thèbes), qui depuis 346/345 après la chute de Sidon combattait pour le roi et 80 trirèmes. Le pharaon Nectanebo II, avec de l’aide de Chypre et de la Phénicie, se défend avec une armée de 100 000 hommes, dont 20 000 étaient des mercenaires grecs et 20 000 des Libyens. L’armée égyptienne dans un premier temps repousse les Perses. Mais Artaxerxés III ne s’avoue pas vaincu. Il prend la citadelle de Péluse qui protège l’entrée du delta, puis la ville de Bubastis et met le siège devant Memphis où s’est réfugié le pharaon. Nectanebo II doit fuir le pays vers la Nubie ou en Ethiopie où il demande asile. L’Égypte redevint une satrapie. Cependant à la lumière d’un document trouvé à Edfou, Nectanebo II aurait réussi à maintenir l’indépendance du sud du pays durant deux années supplémentaires. La fuite du pharaon marqua la fin de la dernière dynastie indigène. En 342, Artaxerxés III se proclame pharaon. Pendant onze ans l’Égypte subit un règne de terreur. Retenons encore qu’un certain Khababach s’insurgea en Haute-Égypte contre la domination perse, s’autoproclamant roi d’Égypte peut-être de 337 à 335 acn. Le 1er novembre 333 acn, Darius III Codoman (380-330 acn), dernier roi de la dynastie achéménide, est défait à la bataille d’Issos par Alexandre le Grand. Le Macédonien libère l’Égypte, se fait couronner pharaon et couvre l’Égypte et le monde de son monnayage…
L’Égypte ancienne produit indiscutablement un monnayage propre caricatural dès le IVe siècle avant notre ère. Nous pouvons être certains que depuis la première occupation perse au VIe siècle, la société égyptienne connaît le monnayage achéménide. Entendant que la production de pièces de monnaies, de « rondelles », ne correspond pas forcément à l’apparition d’un système monétaire, c’est-à-dire la « Monnaie » que le numismate peut étudier, l’histoire doit retenir qu’au moins vingt-six siècles avant notre ère, les Egyptiens maîtrisaient l’abstraction des valeurs. Dès l’Ancien Empire, il existait un étalon monétaire, le chât. Il me plaît d’avancer que l’Égypte ancienne a très probablement disposé d’un système monétaire qui combinait la fonction d’unité de compte, de moyen de paiement et de réserve de valeur. Ce système monétaire par de nombreux aspects ressemble à celui que nous connaissons de nos jours. À partir d’une base complexe, il repose sur la virtualité et sur la confiance. Pour lutter contre la fraude, nos « financiers » préconisent la disparition de la monnaie tangible (la rendant suspecte…). Notre système monétaire aurait alors pour supports des cartes bancaires, des numéros de Gsm, des codes, des adresses e-mail, nos empreintes digitales… Que restera-t-il de ces moyens de paiement dans quatre mille ans ? L’idée légitime que nous n’aurions pas eu de « Monnaie ». S’il fallait admettre le fait que pour empêcher la fraude, les Égyptiens auraient préféré un système monétaire virtuel, alors force serait de reconnaître que cette orientation n’a pas marqué l’histoire… Un lingot en forme de goutte d’une hauteur de 42 mm, d’une longueur de 20 mm et d’une épaisseur de 7 mm pour une masse de 41,55 g apparaît dans une vente publique. Un deben égyptien a une masse de 91 g, nous serions en présence d’un demi deben (ou de 5 qites, 1 deben valant 10 qites). La déviance de 8,7 % sur la masse attendue de 45,50 g ne donnera aucun souci au commun de la numismatique. Cette larme d’argent provient de la collection Roger Pereire (décédé en 1968) et d’une collection privée genevoise depuis (sa fille ayant cédé ces lingots dans les années 70). L’objet en question qui était le lot 101 était proposé par la maison de vente NUMISMATICA GENEVENSIS SA dans ses enchères n°12 qui ont eu lieu le 18 et le 19 novembre 2019. L’arête sur le haut du lingot montrerait la marque de la tenaille qui aurait sectionné le métal avant sa solidification. Ce lingot est en argent avec une pureté de 98,54 %, il a donc été artificiellement raffiné par un orfèvre. L’Égypte ne possédait aucune mine d’argent. On peut imaginer que le métal précieux provenait d’échanges avec des cités du Proche-Orient, telles qu’Ougarit, Byblos ou Beyrouth. La rareté et le raffinement du métal donne à cet objet un caractère particulier. On observe un poinçon en forme de cruche, de broc, de vase à anse ou de jarre. Dans cette empreinte qui n’est pas un cartouche on lit : « Toutânkhamon, T-ou-t-ankh-Imen heqa-Iunu-shema » (L’image vivante d’Amon, seigneur de l’Héliopolis de Haute-Égypte). Le nom du pharaon n’est pas entouré du cartouche royal usuel soit : un ovale souligné d’un trait, symbolisant l’universalité de la royauté pharaonique. Toutankhâmon est inscrit dans un cartouche en forme de jarre. La jarre aurait une traduction hiéroglyphique : « hnm », que l’on retrouve dans l’expression « hnm m hd », qui signifierait « incrusté dans l’argent ». De plus, la forme même du broc rappellerait la forme du hiéroglyphe signifiant « lingot ». Je subodore que la forme de cette empreinte a une certaine importance mais je ne saurais en dire plus.
Cet élément aurait très probablement été produit sous le règne de ce pharaon entre 1345 et 1327 acn, sous la XVIIIe dynastie.
Chaque pharaon avait plusieurs noms, de famille, d’enfance, religieux, de couronnement. Pour Toutânkhamon, sous le règne d’Akhenaton il a été d’abord Toutânkhaton avant le rétablissement du culte d’Amon. Les cartouches qui lui sont le plus fréquemment attribués sont le 4e nom : titre de fils de Rê : T-ou-t-ankh-Imen heqa-Iunu-shema (L’image vivante d’Amon, seigneur de l’Héliopolis de Haute-Égypte) et le 5e nom, le plus connu, celui du couronnement : le titre de roi de Haute et Basse-Égypte : Neb-Kheperou-Rê (les manifestations divines de Rê). Ce rarissime lingot constituerait ainsi le premier objet monétaire daté au monde. La monnaie n’aura pas été inventée par le roi Crésus qui aurait tiré sa fortune de la rivière pactole. En revanche, des petits lingots d’argent ont été retrouvé à d’autres endroits en des temps divers. Qui aura été le premier ? L’expression monétaire ne serait-elle pas un des premiers éléments constitutifs d’une société en tout temps et en tout lieu ? Pauvre Crésus, ce ne serait pas en Lydie au VIe siècle avant notre ère que serait née la monnaie, mais en Égypte, que l’histoire avait laissée orpheline de toutes structures monétaires. Agostino SFERRAZZA
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