LA MONNAIE DE UN FRANC AU TYPE SEMEUSE DE 1898 A 1920

99% des numismates ont eu entre leurs mains à un moment ou à un autre une monnaie au type Semeuse, très probablement une 5 francs des années 60 ou une en nickel des années 70 ou postérieures, car cette monnaie de 5 francs a été frappée à un peu plus de 650 millions d’exemplaires, ce qui en fait une monnaie extrêmement courante !

Ce qu’il faut savoir est que l’apparition de la Semeuse sur les monnaies françaises existe depuis plus d’un siècle, peu avant le début du XX^e siècle. En effet, entre 1898 et 1920, de nouvelles séries de monnaies en argent d’un franc et de 2 francs sont émises avec à l’avers le motif d’une Semeuse. Au revers, la couronne de chêne disparaît pour faire place à une branche d’olivier, cette gravure est l’œuvre de Louis-Oscar Roty.

Le motif choisi pour ce nouveau type est beaucoup moins élaboré que ceux des monnayages précédents, la splendide tête de Cérès du graveur Oudiné qui à notre avis est une des plus belle gravure de monnaie française et le magnifique type de Napoléon III à la tête laurée d’Albert-Désiré Barre qui est un chef d’œuvre d’art.

Ce type à la Semeuse réapparaît postérieurement pour les valeurs de un, deux et cinq francs, par exemple, dans le cas de la monnaie de un franc, elle est frappée pratiquement à 2 000 millions d’exemplaires entre 1960 et 2001. Personnellement je ne comprends pas pourquoi le même type a été frappé pendant plus de 40 ans, alors qu’il y avait en France de très bons graveurs qui auraient pu montrer leurs talents à travers d’autres motifs. La figure semeuse continue d’ailleurs à apparaître dans la série Euro pour les valeurs de 10, 20 et 50 centimes.

Selon les historiens, ce type a été choisi par les républicains, afin de rallier les paysans qui étaient conservateurs et donc monarchistes ou bonapartistes, car à l’époque la classe ouvrière n’avait pas un poids politique aussi important. Le motif choisi est une paysanne qui fait un mouvement pour répandre la semence, d’où le nom « donné » à cette monnaie, de « la Semeuse ».

Toutes les années entre 1898 et 1920 sont frappées à l’atelier de Paris et pour la seule année 1914, elle est aussi frappée à Castelsarrasin. La Première Guerre mondiale débute vers la fin juillet 1914 et très rapidement les Allemands font une percée en direction de Paris en août. L’Administration des monnaies décida alors de transférer partiellement l’atelier de Paris dans le Tarn et Garonne, très proche de Montauban dans la petite ville de Castelsarrasin au sein d’une usine métallurgique. Cet atelier frappa 43 421 monnaies de un franc et 461 647 de 2 francs pendant son activité qui ne dura que quelques mois.

Lors de cette émission, 21 pièces avaient été mises de côté par un haut fonctionnaire des finances et le 14 décembre 1995, lors de leur vente sur offres, les experts M^me Vedrines et M. Poindessault proposèrent 20 de ces pièces, toute en état splendide (lots 458 à 477).
Lors d’un évènement dramatique, tel que la Première Guerre mondiale, les personnes ont le réflexe de thésauriser les métaux précieux, c’est-à-dire les monnaies en or et en argent. En absence de frappe de monnaies de 5 francs depuis 1878, il ne restait dans le cas des pièces en argent que celles de 2 francs, 1 franc et 50 centimes. En regardant dans le second tableau ci-dessous, la frappe totale pour chaque année a augmenté très rapidement à partir de 1914, très probablement du fait de la thésaurisation de ces monnaies par les particuliers (le même phénomène s’observe pour les monnaies de 2 francs). Bien évidemment les exemplaires de qualité supérieure sont bien plus abondants à partir de 1914, ce qui est tout à fait logique.

Il est intéressant de remarquer que les monnaies les plus rares du XX^e siècle sont la 5 francs Lavrillier en nickel et la 20 francs Turin, les deux frappées en 1939, lors du début de la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas un hasard.

Comme à mon habitude, je recherche les exemplaires gradés de qualité, ce qui me permet d’avoir une vision globale et d’en tirer certaines conclusions.

Population NGC/PCGS en qualité supérieure pour toutes les années :

À partir du tableau antérieur, nous pouvons diviser les années en trois « groupes » en fonction du nombre d’exemplaires gradés :

1- Les années courantes ou très courantes : 1898, 1909, 1914, 1914C, 1915,1916, 1917, 1918, 1919, 1920.
Pour ces années-là, nous recommandons l’achat d’exemplaires FDC à partir de l’année 1915 et au minimum SPL pour les autres, car on trouve facilement ces monnaies dans ces états-là. Rechercher spécialement les exemplaires avec de superbes patines que l’on trouve parfois.
On peut constater qu’il y a eu thésaurisation de ces pièces à partir de 1914 et il faut savoir que de nombreux exemplaires n’ont pas encore été gradés car ces années sont « bon marché ».

2- Les années pas très courantes : 1899, 1901, 1902, 1904, 1905, 1908, 1910, 1911, 1912, 1913.
Bien que ces années ne se trouvent pas chez tous les professionnels (attention, on parle de monnaies gradées PCGS ou NGC), avec un peu de patience, on arrive à les trouver en SPL ou FDC.

3- Les années rares : 1898FM, 1900, 1900FM, 1903, 1906, 1907.
Selon les chiffres, ces années sont très difficiles à trouver dans des états de conservation supérieurs et, résultat inattendu, les années 1906 et 1907 sont tout aussi rares que les années 1900 et 1903, alors que les cotes sont très différentes.

Il est toujours intéressant lorsque l’on collectionne une série ou un type en particulier de faire un minimum de recherches afin d’identifier quelles sont les années rares, car souvent on se laisse guider par les cotes des catalogues qui parfois sont assez éloignées de la réalité. En effet, il arrive que les monnaies les plus chères ne soient pas les plus rares, ce qui semble paradoxal, mais l’exemple type est l’année 1914C (frappée à Castelsarrasin) avec une frappe extrêmement faible de 43 421 exemplaires et qui par rapport à la 1906 avec une frappe de 1 908 100 monnaies est plus de dix fois plus courante en FDC. Cette situation n’est pas du tout logique, car la 1914C devrait être très rare, mais elle ne l’est pas, en raison de circonstances très particulières qui ont fait que plusieurs rouleaux sont arrivés intacts de nos jours et les monnaies étaient donc neuves.

Étude des années « rares » :

Note : La colonne MS65/67 et MS63/67 indique le pourcentage pour 100 000 pièces frappées que l’on retrouve dans ces états de conservation.

On constate que paradoxalement il existe des exemplaires MS66 pour les années 1900 et 1903, alors qu’ils sont inexistants pour les années 1906 et 1907, de même pour les pourcentages car les plus faibles correspondent aux années 1906 et 1907. Par exemple pour l’année 1907, le taux de survie en FDC est de 0,12 pour 100 000 pièces. Cela signifie que jusqu’à présent NGC et PCGS ont gradé approximativement une seule pièce en FDC pour un million d’exemplaires frappés.

D’après les archives de CGB que l’on trouve sur leur site, CGB a vendu en l’espace de 15/20 ans, 2 exemplaires MS63 pour l’année 1900, ainsi que pour l’année 1903, 3 exemplaires MS63 pour 1906 et finalement 2 MS63, 2 MS64 et un MS65 pour l’année 1907. Cela démontre bien la rareté de ces monnaies en qualité supérieure et cela correspond bien aux chiffres du tableau.

Regardons maintenant les cotes pour voir ce qu’il en est. Je vous présente dans le tableau suivant celles-ci selon les catalogues le Franc et le Gadoury :

À première vue, on voit l’énorme différence de cote entre les années 1906/1907 et 1900/1903 qui en réalité n’a aucune raison d’être. La réalité est que les frappes des années 1906 et 1907 ont été bien plus importantes que pour les deux autres années, MAIS le fait est qu’en très haute qualité, ces deux monnaies sont INTROUVABLES et cela est indéniable. Les catalogues de cotation ont probablement tenu compte du chiffre de frappe qui est élevé, ainsi que de l’abondance de ces années en qualité moyenne, ce qui est exact, car ces monnaies ne sont pas rares dans ces qualités, mais ce n’est pas le cas pour les très belles monnaies. Comparativement la 1914C connue à 53 exemplaires FDC a une cote de 1700€ pour cette qualité, ce qui est complètement illogique. L’explication est simple : récemment un ou plusieurs rouleaux intacts ont fait surface !

CONCLUSION

Il peut y avoir au maximum trois collections avec uniquement des exemplaires FDC, pour une série qui a été frappée à environ 430 millions d’exemplaires ; un chiffre vraiment insignifiant.

Pour les numismates intéressées par cette série, les années clés sont 1900, 1903, 1906 et 1907. J’estime que pour trouver ces années-là en FDC avec les moyens financiers correspondants, il faut patienter 4 ou 5 ans avec de la chance et en cherchant (cela fait partie de la « vie » d’un collectionneur), MAIS le jour où vous y arrivez, ce n’est que du bonheur !

Pour les hauts états de conservation, il n’y a pas de doute, les années 1906 et 1907 sont sous-cotées dans les catalogues, mais tant que les cotes ne changeront pas, cela passera inaperçu pour la majorité des collectionneurs, et ceux qui auront eu la chance volontaire ou involontaire d’acheter avec les cotes actuelles ces années dans de très belles qualités auront fait une très belle acquisition.

Les collectionneurs sont disposés à payer plus cher pour de la vrai qualité et ils ont tendance à délaisser les monnaies de moindre qualité ; ils ont tout à fait raison car une monnaie de qualité conserve mieux sa valeur !

Yves BLOT