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LA 5 FRANCS CAMELINAT DANS L’OUVRAGE LE FRANC, LES MONNAIES, LES ARCHIVES | 13/09/2019 Informations Nous vous invitons à découvrir ci-dessous l'intégralité de l'article de M. Philippe Théret (coordinateur et auteur du Franc, les monnaies - les archives) préalablement paru dans Le Bulletin Numismatique 189 et dédié à la 5 Francs Camélinat. La pièce de 5 Francs Camélinat est une pièce très collectionnée car très chargée d’histoire. Sans être courante, elle n’est pas rare mais sa cote demeure relativement élevée du fait qu’elle est recherchée pour sa valeur historique. Parmi toutes les pièces traitées dans notre ouvrage, c’est assurément celle à laquelle nous avons consacré le plus de temps de recherche, d’analyse et de rédaction. Il a fallu remettre à plat, en premier lieu, toutes les informations connues (certaines n’ayant été publiées que vers des audiences très restreintes), remonter aux sources de ces informations puis les compléter par de nouvelles informations inédites. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il n’est peut-être pas inutile de faire un petit rappel du contexte historique.
Pour autant, la guerre continue. Un gouvernement de Défense nationale est constitué avec à sa tête le général Trochu et Gambetta en ministre de l’Intérieur. Paris est assiégée à partir du 18 septembre 1870. Le 7 octobre, Gambetta quitte Paris en ballon et tente de réorganiser la défense à partir de la province, depuis Tours puis Bordeaux. Le 18 janvier 1871, les princes allemands se rassemblent à Versailles et proclament Guillaume Ier de Prusse empereur du nouvel Empire allemand. La résistance de la ville de Paris touche à sa fin. Un armistice de trois semaines est signé le 28 janvier permettant de faire une élection de l’Assemblée nationale qui deviendra l’interlocuteur légitime pour les négociations avec l’Allemagne. Le thème de l’élection n’est pas le choix du nouveau régime (retour de l’empire, monarchie ou république) mais le maintien de la guerre ou la négociation de la paix. Après ce bref rappel historique, plongeons-nous plus particulièrement dans l’histoire de la 5 Francs Camélinat. Le texte le plus riche sur les événements monétaires liés à cette pièce est incontestablement « Monnaies et Médailles à l’âge des révolutions » publié dans Moneta n° 23 en 2001 et rédigé par Jean Belaubre, ancien conservateur de la Monnaie de Paris. Ce texte repose pour beaucoup sur les archives du 19e Conseil de Guerre consultables au Service Historique de la Défense à Vincennes et notamment le rapport du 8 mai 1872 de l’instruction menée par le capitaine Lobert. Suite à cette instruction, Camélinat (en fuite), sera condamné par contumace, en juillet 1872, à une peine de déportation dans une enceinte fortifiée. Avant Jean Belaubre, personne n’avait exploité ces documents. Nous sommes allés dans ce service numériser l’ensemble des dossiers d’instruction de Zéphirin Camélinat, de son frère (Lin) ainsi que des autres communards ayant eu un rôle à la Monnaie de Paris (Lampérière, Perrachon, Murat, Garnier…) et des témoignages d’acteurs officiels de la Monnaie de Paris tels que Bijon et Lupot notamment. Dans notre ouvrage, vous trouverez de larges extraits de ces documents permettant de bien comprendre le déroulement des faits et la tension qui était forte entre les communards et les quelques représentants de la Monnaie de Paris qui étaient restés présents. À la proclamation de la Commune du 18 mars 1871, plusieurs responsables de la Monnaie de Paris quittent leurs postes. D’autres restent, au moins dans un premier temps. Renouard de Bussières, le directeur de la fabrication de la Monnaie de Paris, part le 21 mars à Versailles. Son fondé de pouvoir, Bijon, restera jusqu’au 9 mai. Albert Désiré Barre, le graveur général, lui, part le 29 mars pour Jersey laissant Lupot, son contremaître, gérer la situation. La production des 5 Francs en argent se poursuit normalement (ainsi que celle de pièces égyptiennes en bronze) jusque début avril. La Commune prend alors possession de la Monnaie de Paris, le 4 avril, en installant Zéphirin Camélinat à sa tête, tenant à la fois la direction de l’Administration et de la production de la Monnaie de Paris. Bijon et Lupot vont tout faire pour retarder le projet de Camélinat de frapper monnaies. Devant la menace, ils devront céder. Epuisé nerveusement, Bijon quittera son poste le 9 mai au soir. Il avait obtenu de Camélinat quelques jours auparavant qu’il n’utilisât pas les coins portant le différent de De Bussières (abeille) : « des coins furent tirés dans les ateliers à l’aide de poinçons de reproduction au type Hercule par M. Lupot contremaître du graveur général. M. Lupot s’était ingénié à trouver mille lenteurs pour lasser le nouveau directeur mais, il se résigna pourtant à le servir dans le but de sauver le dépôt précieux confié à sa seule garde et pour faire admettre un différent distinctif pour les pièces fabriquées par le directeur de la Commune. Le trident de Camélinat remplace l’abeille de De Bussières. » [ADEP_SSD/291 J1-11]. Par ailleurs, grâce à d’autres documents d’archives provenant de la Monnaie de Paris et conservés à Savigny-le-Temple, il est possible de retracer les commandes et fournitures de coins réalisées sous la direction de la Commune. Ces documents sont d’une part un courrier « justificatif » de Barre relatant les événements survenus dans son atelier durant la Commune [MEF-MACP, SAEF /S6-11] et d’autre part le registre [MEF-MACP, SAEF /Y.Ms101] qui consigne les dates de tirage et de livraison des outils monétaires. Ainsi trois commandes de coins sont effectuées, dont seules les deux premières seront servies :
Les délivrances, elles, ne sont pas consignées dans le registre habituel de l’année 1871 [MEF-MACP, SAEF /X.Ms64]. Néanmoins, on dispose des informations détaillées de ces délivrances grâce au registre [MEF-MACP, SAEF/X.Ms559] qui collecte les procès-verbaux de délivrances. Dans ce registre sont consignées 15 délivrances faites par les agents de la Commune entre le 11 et le 23 mai 1871. Néanmoins le rapport d’instruction du Conseil de guerre relate bien une autre fabrication ayant eu lieu le 24 mai 1871 au matin : « On atteignit ainsi la matinée du 24 mai… L’armée avançait. Les insurgés fabriquaient avec une ardeur toujours croissante. On avait amené un fourgon. Au fur et à mesure de la fabrication, on chargeait par manne de pièces de 5 francs… 18 mannes pleines contenant 4 000 francs chacune et une 19e incomplète furent successivement portées au fourgon. De plus, 80 000 francs en 8 sacs de 10 000 F furent aussi chargés. La somme totale peut s’élever à 153 000 francs environ. Camélinat et Lampérière payèrent les employés. La crainte augmentait à chaque instant chez eux, car les balles arrivaient dans la cour de l’Hôtel. Le fourgon sortit par la rue Guénégaud. Tous les fédérés, sous le commandement de Pinteau, formaient l’escorte. Camélinat et Lamperière suivaient dans une voiture de place. On prit la direction des quais pour gagner la mairie du 11e arrondissement. À partir de ce moment, l’instruction ne pourrait présenter que des suppositions sur l’emploi qui a été fait de ces 153 000 francs. » [ADEP_SSD/291 J1-11]. Deux éléments troublants confortent ces frappes du 24 mai matin. Si on réexamine le registre des procès-verbaux de délivrance [MEF-MACP, SAEF/X.Ms.559], la dernière délivrance consignée sous la direction de la Commune est la n° 15 du 23 mai 1871. La page suivante correspond à une délivrance de 10 Centimes effectuée le 22 juin 1871. La délivrance suivante de 5 Francs n’a lieu que le 8 juillet 1871 et porte le numéro 17 et non le 16 ! Il existe un autre registre [MEF-MACP, SAEF/X.Ms.440] qui, lui, consigne le détail des jugements (du titre et du poids) préalables aux délivrances. On y retrouve les 15 premières brèves de la Commune et on voit nettement que la page suivante a été arrachée ! Tout porte à croire que la brève n° 16 consigne bien cette production du 24 mai et que l’on a tout fait pour cacher son existence ! Mais pourquoi cette délivrance et pas les autres ? Dans un article paru dans le journal Le Socialiste le 15 mars 1908, Camélinat relate lui-même le déroulement de la nuit du 23 mai et la journée du 24 mai 1871. On peut y lire de sa plume : « Dès le matin la frappe recommença ; la veille le citoyen Murat, chef de la fabrication, avait terminé de monter sur une presse le nouveau coin portant en exergue « TRAVAIL, GARANTIE NATIONALE ». Ce fut principalement de la frappe à cette presse que l’on s’occupa et le travail continua sans arrêt pendant toute la matinée. » Cette brève ne pouvait être ainsi gênante que du fait de sa légende sur la tranche « TRAVAIL GARANTIE NATIONALE » au lieu de celle traditionnelle de « DIEU PROTEGE LA FRANCE ». Néanmoins, pour que cette tranche ait pu exister, il a fallu qu’une nouvelle virole fût faite. Toutefois, grâce au registre [MEF-MACP, SAEF/S6-11] qui collecte une copie de la correspondance des Barre, copie obtenue par Jean Belaubre, alors qu’il était conservateur à la Monnaie de Paris, auprès d’Henri Regnoul descendant des graveurs Barre, nous disposons d’une lettre clé qui nous éclaire sur l’existence d’une nouvelle virole. Cette lettre est un rapport de Barre au directeur de l’Administration des monnaies sur les faits qui se sont produits dans son service durant la Commune. On y apprend que le 9 mai, Camélinat convoque Lupot : « … on voulait changer la légende de la virole brisée. « Dieu, dit le Citoyen délégué, à supposer qu’il existe, ne protège pas du tout la France ; la tranche des pièces de 5 F portera à l’avenir : Garantie nationale. Travail – Prenez vos mesures en conséquence. Par ailleurs, une copie conforme de la commande signée du 10 mai de cette nouvelle virole se situe dans le dossier d’instruction de Camélinat [DEF/Conseil19_528_421].
La Monnaie de Paris a acquis entre 1974 et 1978 le fonds d’atelier de la dynastie des graveurs Barre. Parmi ce fonds, un certain nombre d’outillages monétaires avaient été classés trop rapidement en « non identifiés ». Ce n’est qu’assez récemment que Jean-Luc Desnier, alors conservateur à la Monnaie de Paris, a pu y trouver une virole brisée portant l’inscription : « TRAVAIL***/**GARANTIE/ NATIONALE* » ! Il publia en 2006 un article sur cette virole dans [BCEN/Vol 43, n° 2,2006]. Il convient ici de réparer l’omission faite dans notre ouvrage de la collaboration de Jacky Jeusset à l’article de M. Desnier. C’est en effet Jacky Jeusset, en sa qualité de technicien en réalisation d’outillages monétaires de la Monnaie de Paris, qui effectua l’analyse technique de la virole. Il y montre clairement que cette virole a été faite de manière très imparfaite et qu’elle présente de très nombreux défauts la rendant inutilisable. Cela pourrait bien corroborer la version de Lupot qui aurait saboté ce travail, à cette nuance près qu’ici le sabotage de cette virole n’est pas lié à la trempe ! En effet, cette virole brisée ne semble pas avoir été trempée. Cette virole est en acier brut et son aspect plaide pour une absence de trempe. Grâce à Dominique Antérion, chargé de conservation du patrimoine à la Monnaie de Paris, nous avons pu avoir accès à cette virole ainsi qu’à une très belle reproduction photographique, que nous avons été autorisés à inclure dans notre ouvrage (cf page 638). Les quelques taches de corrosion sont à associer à l’âge de cet outillage, mais sa conservation reste toutefois exemplaire. Elle ne porte aucune trace de montage, ce qui indique qu’elle n’a jamais servi. Par ailleurs, les gravures ne semblent clairement pas terminées. Sur chacune des parties certains caractères ne sont pas du tout enfoncés, au point d’être pratiquement illisibles. On peut noter aussi que dans la légende TRAVAIL GARANTIE NATIONALE, le « V » est constitué par un A à l’envers : . Et pour cause, le « V » est en effet le seul caractère de cette légende absent de la liste des poinçons disponibles (ceux permettant d’insculper la légende « DIEU PROTEGE LA FRANCE »). Enfin, le dernier point qui interpelle est la géométrie des trois éléments de la virole. En ajuster correctement deux à partir du détrompeur est très simple. En revanche, le troisième élément est alors impossible à ajuster pour former au centre un cercle correspondant à la monnaie : son rayon de courbure interne est différent des deux autres. Faire servir une telle virole aurait très rapidement causé de lourds dégâts. Reste la question de savoir combien de monnaies ont été frappées le 24 mai au matin ? Certains avancent que Camélinat aurait tenu deux comptabilités différentes : une officielle pour les frappes issues des lingots fournis par la Banque de France et une autre officieuse pour les frappes issues de l’argenterie pillée par les Communards dans l’hôtel de ville, les ministères, les églises… Dans le rapport d’instruction du Conseil de guerre, nous disposons d’informations essentielles, liées aux dépositions de Huguet et Bijon, sur les apports de matière d’une part tout au long du directorat de Camélinat et sur l’état de l’inventaire des matières restantes à la Monnaie de Paris à l’issue de la Commune [Voir retranscription dans notre ouvrage page 632]. Il y aurait eu ainsi 7,428021 tonnes d’argent en apport dont 2,044969 tonnes ont été retrouvées en stock, ce qui donne une utilisation de 5,383052 tonnes. Cela représente 239 247 pièces au titre de 900 millièmes. Tout porte à croire que le chiffre réel de pièces délivrées est bien de 241 680 jusqu’au 23 mai auquel s’ajoutent 10 000 à 14 730 produites le 24 mai au matin. Tout d’abord, les pièces issues des lingots de la Banque de France et remises en retour à la banque, ont été, selon l’état de Huguet figurant dans le dossier d’instruction, d’une somme équivalente à 828 337,66 francs (1 023 850 frs 2c moins les bons non soldés de 195 512 frs 36 c), soit un équivalent de 165 667 pièces environ. Si la fonte a bien eu lieu, cela donnerait en circulation un total de 76 013 pièces de 5 Francs (hormis, la dernière délivrance, du 24 mai, de 14 730 pièces, supposée être potentiellement à la nouvelle virole). Pour expliquer cela, on peut bien sûr douter du fait que la fonte des pièces détenues à la Banque de France ait eu lieu en totalité. Mais une autre explication nous paraît possible. Cette pièce a été collectionnée alors qu’elle était encore en circulation, lui octroyant une valeur et par là même une attention particulière. On trouve ainsi des articles de presse encourageant les lecteurs à les rechercher. Article publié le 17 janvier 1914 dans le Petit Phare, En revanche, l’existence de la 5 Francs Camélinat avec la tranche « TRAVAIL – GARANTIE NATIONALE » interpelle. Avec un chiffre de 10 000 à 14 730 monnaies, il est impossible qu’on ne l’ait pas retrouvée à plusieurs exemplaires, d’autant plus avec le taux de survivance augmenté par l’effet des collectionneurs que l’on vient d’évoquer. Frédéric Droulers, dans son article [N&C n° 294,p. 25], évoque que deux exemplaires auraient été remis en 1957 au Carnavalet, puis subtilisés et, qu’un exemplaire aurait été en vente en 1973 au Crédit de la Bourse. A ce stade, cela reste des rumeurs et non des faits. De son côté Jean Belaubre a établi que le trajet entre la Monnaie de Paris et la Mairie du XIe aurait duré 5 heures, ce qui, malgré le contexte et les barricades, lui paraît excessif. Il envisage donc que Camélinat a eu le temps de faire un détour et de déposer une partie de la cargaison (celle à la nouvelle tranche) pour la mettre à l’abri. Celle-ci aurait servi ensuite de « monnaie d’échange » avec les autorités pour faciliter notamment sa fuite (passeport pour l’Angleterre) voire celle de Perrachon (Bruxelles), pour obtenir des condamnations clémentes pour Lampérière et son frère Lin Camélinat (seulement à 13 mois de prison), et aucune condamnation pour Garnier et Murat. Certes ce scénario est très romanesque mais pas complètement impossible. D’autres scénarios peuvent être imaginés et notamment celui d’une frappe en nouvelle virole qui aurait bien eu lieu le 24 mai mais qui aurait été très vite arrêtée par un défaut présent (Lupot faisant tout son possible pour saboter l’idée de la nouvelle virole a très bien pu réussir quand bien même celle-ci aurait passé l’épreuve de la trempe). Le nombre d’exemplaires ainsi frappés pourrait alors être très faible… Quoi qu’il en soit, il nous a paru important d’introduire une ligne correspondant à cette pièce dans le tableau du type (sans cote). Cela poussera les collectionneurs qui ne l’ont pas encore fait à examiner les tranches. On ne trouve en général que ce que l’on cherche… Nos recherches nous ont poussés vers d’autres sources d’information : les archives départementales de Seine-Saint-Denis où sont situées les archives du parti communiste français et notamment un dossier sur Camélinat et les archives nationales à Pierrefitte où se trouvent les archives personnelles d’Alexandre de Plœuc, sous-gouverneur de la Banque de France, qui fut l’interlocuteur des communards notamment pour la livraison des lingots d’argent. Ces sources se sont révélées infructueuses mais nous ne voulions pas écarter a priori ces pistes potentielles. Le travail effectué autour de cette pièce de Camélinat a été un des plus passionnants à mener dans le cadre de notre ouvrage, LES FRANC, LES MONNAIES, LES ARCHIVES. A défaut d’en ressortir avec une certitude sur l’existence ou l’absence de la 5 Francs avec tranche, Travail, Garantie Nationale, le lecteur peut désormais en apprécier le degré de plausibilité grâce à un panorama complet des éléments disponibles. Par ailleurs, le mystère créé autour du chiffre de production globale et de la survivance de cette pièce a pu être éclairé. Enfin, le collectionneur spécialisé peut désormais aller au-delà de la recherche de la variante dite avec date espacée et tenter de rassembler les différentes variantes de coins utilisées. Il connait enfin les nombres maximaux employés possibles : 10 coins d’avers et 11 de revers. Philippe THÉRET ADF 481, unionetforce@free.fr
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