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HOMMAGE À FRÉDÉRIC DROULERS (1943-2023)

| 29/09/2023
Informations

Frédéric Droulers est décédé le 25 juillet 2023 à La Rochelle. Il était né le 23 juillet 1943 à Amiens et disait avoir souffert dans cette ville bombardée des pénuries de la guerre, mais avait eu néanmoins une enfance heureuse jusqu’au 7 octobre 1949 où son père Xavier, jeune industriel dans une affaire familiale de textile, décédait d’un accident de voiture sur une route de l’Oise. Il s’en était suivi pour lui le sentiment qui ne le quittera plus d’un rôle qu’il devait assumer de soutien de famille, mais aussi un sentiment de déclassement par rapport à sa famille paternelle aisée ; enfin un sentiment d’abandon quand, à l’instar de ses frère et sœurs, il avait dû quitter Amiens en 1953 pour intégrer des pensionnats religieux successifs et ne plus voir sa mère qu’à l’occasion des grandes vacances. C’est cependant là que faute d’autres distractions, il commença à collectionner des timbres, y acquit le goût du classement, et s’intéressa à la gravure. Par ascendance familiale, il aimait déjà l’histoire et la géographie.

En 1958 leur mère Mary réussissait à reprendre ses enfants devenus adolescents en s’installant dans une petite maison à rénover dans la campagne des Maures. Brève retrouvaille d’une vie familiale, avec une échappée d’un an dans une famille à San Francisco, où Frédéric avait pu partir comme boursier de l’American Field Service. Son frère Daniel obtint la même bourse l’année suivante pour aller vivre à Houston. Ayant auparavant passé tous ses étés en Irlande pour apprendre l’anglais, il a pu par la suite entreprendre d’autres voyages qui le mèneront à travers l’Europe et vers la Russie, l’Iran et l’Afghanistan. C’est en Europe de l’Est qu’il rencontra des numismates qui l’initièrent aux monnaies anciennes, à leur achat et leur vente.

Mais en 1961 cette vie pleine d’espoir avait été brisée, surtout pour leur mère, par le décès accidentel de l’homme dont elle espérait partager la vie et qui déjà la soutenait financièrement pour cette installation dans le Midi. Les trois aînés partirent successivement à Paris pour leurs études. Mais cela ne réussissait pas suffisamment à Frédéric, qui rejoignit sa mère, installée à Aix-en Provence, pour y intégrer l’Institut d’Études Politiques, à défaut de l’École nationale d’administration dont elle rêvait pour lui – exigence pesante. Frédéric n’avait qu’une hâte maintenant, entrer dans la vie active. Il retourna à Paris et commença à travailler dans le milieu de la bourse. Parallèlement il écrivait des articles financiers et monétaires pour une revue spécialisée. Visitant les marchands parisiens dans les années 1970-1975, il s’était aperçu du vide, dans leurs catalogues, de références aux monnaies royales. Il s’est mis à fréquenter assidûment les Archives nationales, le Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France, puis la Monnaie de Paris. A commencé alors pour lui une vie épuisante de recherches, qui l’ont conduit également dans les dépôts d’archives de province. Sa rencontre en 1976 avec Victor Gadoury a été déterminante. Ils ont lancé ensemble le premier catalogue concernant les monnaies royales. Même si cela l’affectait, il devait accepter par la suite que le nom de son confrère figure seul, ou soit cité ainsi (« le Gadoury ») et que le sien vienne en second ! Sans développer ici la suite de sa carrière, et lister toute sa bibliographie, nous voulons en cette triste occasion d’une nécrologie, souligner comme la vie de Frédéric Droulers fut austère de par le sujet même, et difficile, dans un milieu où s’exercent des rivalités, pour ne pas dire parfois des malveillances. Produire des éditions est un lourd labeur, plein d’incertitudes, que ne libère pas la sortie de l’ouvrage, car il faut encore le vendre et que la critique ne vous torture pas !

Frédéric a eu des amis fidèles avec lesquels il avait fait les quatre cents coups dans sa jeunesse, et aussi des amours comme des déceptions amoureuses, mais il était resté célibataire et ne s’était pas imaginé avoir des enfants, même s’il a pu le regretter plus tard. Il aimait s’entourer de beaux objets, et s’habiller élégamment. Mais au milieu de sa vie il avait commencé à souffrir de troubles nerveux, qu’il appelait « spasmophilie », puis de périodes de dépression devenant plus longues. En 2007 il avait quitté Paris, certains jours à regret, pour s’établir à La Rochelle. C’est dans son appartement du quartier des Minimes qu’il était venu à bout, en 2012, de la 5e édition de son œuvre maîtresse, le Répertoire général des monnaies de Louis XIII à Louis XVI (1610-1793). Il avait dû intégrer ensuite un EHPAD afin d’avoir un entourage qui s’occupe de lui. Il continuait à faire des recherches sur tous les sujets qui lui tenaient à cœur ou qui étaient d’actualité, comme ce terrible Covid, et rédiger des notes dont il aurait voulu que certaines soient publiées. Mais son écriture devenant illisible, même pour lui, il avait dû abandonner cette activité, et peu à peu, dans cette tristesse d’une vieillesse prématurée, tout abandonner.

Frédéric Droulers a marqué la numismatique française en mettant en avant les archives monétaires et en proposant un classement des monnaies par types, ensuite déclinés par millésimes et ateliers, n’hésitant pas à commenter les différents de maître ou de graveur observés sur une monnaie. Critiqué pour ses informations parfois erronées, pouvait-il rédiger une telle œuvre sans erreurs ? Il est utile de remettre dans son contexte les recherches de Frédéric Droulers. Durant les années 1970 et 1980, les photographies numériques, les tableurs de calcul n’existaient pas. Le travail de dépouillement se faisait à la main. Le chercheur disposait devant lui de son paquet d’archives, et notait les informations recueillies sur des feuilles de papier à l’aide d’un crayon à papier. Peu de personnes peuvent imaginer le temps qu’il lui a fallu pour dépouiller l’ensemble des registres des délivrances de tous les ateliers monétaires français de l’Ancien Régime, passer des centaines de jours à additionner des chiffres, les compiler... Personnellement, j’estime y avoir passé 25 ans pour les seules productions de la période 1610-1794, et encore avec des outils numériques et des bases de données. Alors oui, il y a certes des erreurs au sein du travail de Frédéric Droulers, mais personne n’aurait été en capacité de faire ce travail correctement avant le développement de l’informatique. D’ailleurs, l’ouvrage de Jean Lafaurie et Pierre Prieur sur cette période n’a jamais vu le jour. Frédéric a su tracer une voie qui a été reprise par de nombreux numismates. Il n’aimait pas que l’on dise de lui qu’il était un pionnier. Il l’a été au regard des générations actuelles, mais les travaux actuels auraient-ils la même force, s’il n’avait pas fait ce travail ? Dans chaque ouvrage numismatique consacré à la numismatique royale française de l’Ancien Régime, il y a et il y aura du Frédéric Droulers. Même si j’ai souvent relevé certaines de ces erreurs, il m’a grandement inspiré pour mes travaux. Ironie du sort, je comptais lui apporter l’ouvrage sur les Monnaies royales françaises et de la Révolution (1610-1794) à sa sortie, mais il était inhumé à l’heure même où les dernières corrections étaient apportées. C’est comme s’il y avait eu une transmission, un relais. De par son format et la couleur de la couverture, ma première impression fut de me dire que mon ouvrage ressemblait étrangement au premier Répertoire de Frédéric Droulers publié en 1987…

De par nos nombreux échanges, Frédéric Droulers savait que j’étais en capacité de comprendre son travail et d’estimer tout le temps qu’il avait consacré à la recherche en numismatique. Ainsi, il y a quelques années, il m’avait cédé ses droits sur son Répertoire, les trois volumes de son Encyclopédie et de son inventaire des trésors monétaires de l’Ancien Régime. À cette occasion j’avais pu lui racheter sa bibliothèque de travail ainsi que ses dépouillements en archives. J’ai pu consulter ces derniers, observer comment il avait travaillé. Ces dépouillements ne m’ont pas été utiles, car à ce moment, j’avais déjà pu analyser l’ensemble des documents qu’il avait passé tant d’années à parcourir. Pour le moment, je garde précieusement ces documents chez moi, à Poitiers, dans une malle métallique, peut-être en vue d’un classement, avant d’en faire don à une institution, pour qui voudra s’intéresser à son travail de recherche.

Article rédigé en partie avec les informations aimablement fournies par sa sœur Patricia,
que nous remercions vivement.

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