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Dans la Live Auction du 23 septembre 2025, ce sont pas moins de douze deniers des règnes de Trajan (98-117) et d’Hadrien (117-138) qui vous sont proposés. Douze, ce n’est pas grand-chose au regard des quarante années de règne des deux Augustes qui se sont succédé à la tête de l’Empire entre la fin du Ier siècle et le début du IIe siècle, mais dans une seule et unique vente ce n’est pas si courant. Ces deux empereurs qui étaient cousins sont les deuxième et troisième détenteurs du pouvoir au sein d’une dynastie, les Antonins (98-192), qui est marquée par deux phénomènes bien différents et complémentaires. Ils appartiennent à une série de dirigeants où l’adoption tient une place prépondérante, excepté pour le dernier, Commode né dans la pourpre (porphyrogénète, le 31 août 161) alors que son géniteur est auguste depuis le 7 mars de la même année. Cependant, il faut minorer ce propos, car excepté Nerva, ils se sont cooptés dans un groupe de grandes familles de la « Nobilitas ». Cette période si importante dans l’histoire de Rome symbolise la « Paix Romaine » si chère à Paul Petit (1914-1981) et marque l’apogée du Haut-Empire ou du Principat, institué par Auguste à partir de 27 avant J.-C.

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Marguerite Yourcenar ne s’y était pas trompée en reprenant dans les Mémoires d’Hadrien tirés de son carnet de notes, Paris 1951 et qui trône en quatrième de couverture de la NRF de Gallimard, une sentence de Théophile Gautier (1811-1872), tirée de sa correspondance (1887-1893) : « Les dieux n’étant plus et le Christ n’étant pas encore, il y a eu de Cicéron à Marc Aurèle un moment unique où l’homme seul a été. »

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D’un point de vue iconographique, droits et revers sont inspirés et variés. À une époque, où il n’y a pas de moyens de communication à l’image du monde actuel, la Monnaie est et reste le meilleur vecteur de la propagation de l’idéologie impériale porteur d’un message universel. Trajan exalte ses conquêtes (Germanie, Dacie et Parthie) ainsi que son programme édilitaire à Rome tandis qu’Hadrien au travers de ses voyages qui l’ont tenu éloigné de l’Urbs la plus grande partie de son règne, commémore et rappelle les provinces, les cités, les limites définies d’un Empire dont il a pris le parti d’en limiter l’extension en protégeant les frontières (limes). Ces deux positions qui semblent antithétiques au départ, en fait imbriquées, sont le reflet de deux politiques différentes, mais qui ont pour but, la même finalité, la grandeur de Rome et sa pérennité. C’est ce symbole qu’Hadrien met en perspective, aux portes du neuvième centenaire de la cité d’après le comput de Varron (21 avril 753 avant J.-C.), de le rappeler en le mettant en scène sur le monnayage en 121 (RIC II. 3/ 101, n° 353-354, pl. 9 (aurei) et n° 407-409, pl. 69-70 (sesterces) : ANN DCCLXXIIII NAT VRB P CIR CON/ (SC). « Anno DCCLXXIIII Nato Urbis Primum Circenses Constituti », (en l’an 874, les jeux du cirque sont célébrés pour la première fois, le jour de la fondation de Rome).

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Ces deux règnes ont fait récemment l’objet de synthèses numismatiques avec la publication des ouvrages de Pierre-André Besombes, Monnaies de l’Empire romain, IV Trajan (98-117 après J.-C.), BnF, Paris, 2008 et Bernhard Woytek, Die Reichsprgaüng des Kaisers Trainanus (98-117), MIR 14, ÖAW, Wien, 2010 pour Trajan et R. A Abdy & P.-F. Mittag pour Hadrien avec The Roman Imperial Coinage (RIC II. 3), From AD 117-138, Hadrian, Second Revised Edition, London 2024, en attendant le volume II. 2 de cette série, prochainement.

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Nos six deniers de Trajan appartiennent à la seconde série du règne entre 107 et 117. Les quatre premiers rappellent le programme de construction mis en place par Trajan après les deux guerres daciques qui lui ont permis de s’emparer des trésors de Décébale, leur roi, et de créer une nouvelle province, la Dacie, au-delà du limes constitué par le fleuve, Danuvius (Danube) qui au travers de ce revers (brm_1032934) évoque soit une statue soit une fontaine qui pourrait avoir pris place sur le Forum de Trajan à Rome. Notre deuxième denier présente un buste inhabituel et rare (O*3) avec un grand buste héroïque drapé sur l’épaule, associé au Génie du Peuple romain qui se rencontre déjà sur le monnayage de Néron (64-68) et pourrait bien être aussi une statue de l’entité personnifiée (brm_1032925). Notre troisième pièce fait référence à la statue équestre de Trajan qui se trouvait au centre de son Forum, Regio VIII (brm_1026992), aujourd’hui disparue mais qui peut être mise en parallèle avec celle de Marc Aurèle qui se trouve encore aujourd’hui à Rome (original au musée du Capitole), copie placée sur la place en face du palais présidentiel et qui figure sur les pièces de 50 Cent d’euro de l’Italie. Le quatrième fait référence à l’un des monuments les plus emblématiques de la capitale italienne avec la colonne Trajane (brm_1032952) qui se trouve toujours sur le Forum de Trajan et qui marque par sa cime la masse de terre qu’il a fallu araser et aplanir afin de créer l’espace à l’établissement du Forum de Trajan, œuvre d’Appolodore de Damas, son architecte. Les deux derniers deniers font référence à la dernière campagne de Trajan qui devait le mener jusqu’aux portes de Ctésiphon, la capitale du royaume parthe, l’ennemi irréductible des Romains depuis la défaite de Crassus à Carrhae en juin 53 avant J.-C. Le premier exalte la Virtus de l’auguste (brm_912210) tandis que le second avec un buste du Soleil (Sol) fait référence aux conquêtes de Trajan avec la représentation d’une divinité appelée à un très grand succès avec l’assimilation de Sol à Mithra (le seul dont la naissance attestée est fixée au 25 décembre) et qui deviendra le dieu païen principal des empereurs militaires d’Aurélien à Constantin avant d’être supplanté par le Christ (brm_1026893).

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Les six deniers du règne d’Hadrien couvrent presque la totalité du règne d’Hadrien entre 117 et 137, mais ne sont pas forcément totalement représentatifs du règne. Cependant il débute par un denier du tout début de ce règne où Hadrien était gouverneur de Syrie au moment du décès de Trajan, le 8 août 117 et doit se faire reconnaître comme Auguste. C’est par l’entremise de Plotine, la femme de l’Auguste décédé et qui protège Hadrien, qu’il est adopté réellement ou fictivement par Trajan mourant ou mort. Notre premier denier (brm_1027166) commémore cette adoptio où Trajan et Hadrien sont réunis, se serrant la main alors qu’Hadrien n’était pas présent à Sélinus (Cilicie) lors du décès de Trajan. Outre le revers, le droit rappelle la filiation du nouvel empereur qui se rattache à Trajan, son père adoptif au droit et au revers de notre denier. Deux pièces sont datées de 123 et sont plus stéréotypées. Hadrien n’est pas présent à Rome, mais a entamé son premier voyage. Le premier denier avec Salus (la Santé) appelle la protection de l’entité sur la personne d’Hadrien (brm_1027156) tandis que le second évoque Rome (brm_1032993). Le quatrième denier fait appel à une abstraction personnifiée qui apparaît plus rarement sur les monnaies romaines avec Iustitia (la Justice) (brm_763699). Est-il nécessaire de rappeler qu’Hadrien a été un grand administrateur et un digne représentant, tenant à cœur son rôle du rendu de la Justice dans ces nombreux déplacements ? La cinquième pièce avec Hispania (l’Espagne) (brm_1050662) rappelle les origines d’Hadrien, né à Italica ou à Rome dans une famille romaine établie de longue date en Hispanie. Quant à notre sixième et dernier, il reprend le thème de Roma (brm_1024859) à un moment où l’empereur déjà malade a adopté Aélius (peut-être son fils adultérin) pour lui succéder, mais qui le précède dans la tombe puisque ce dernier meurt le 1er janvier 138 à son retour de Pannonie.

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Nos douze deniers, chacun à leur manière, égrènent et illustrent l’histoire de Rome et sont au service de l’imago impériale en diffusant le message de propagande maîtrisé par le pouvoir.
Marie BRILLANT & Laurent SCHMITT