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CETTE ANNÉE-LÀ : LES ÉCUS FRAPPÉS À NANTES EN 1834 !

| 10/11/2019
Informations

Dans le Bulletin Numismatique n°189 de septembre 2019, Gildas Salaün, responsable du médaillier au musée Dobrée, a analysé les 60 écus de 1834 de Nantes présents dans le Trésor de Clisson. Il y a détecté la progression spectaculaire d’une cassure de coin.

Il émet l’hypothèse que cette cassure de coin fut détectée rapidement mais que les cadences rendues nécessaires cette année-là par la démonétisation des anciennes monnaies duodécimales n’ont pas permis d’attendre la livraison par Paris d’un nouveau coin d’avers et que les frappes avec la cassure de coin ont pu durer plusieurs jours voire plusieurs semaines. Il se demande s’il y a eu interruption du service qui pourrait expliquer une production annuelle en progression cette année-là de seulement 49% à Nantes par rapport à celle de 159% par exemple à La Rochelle. Il regrette l’absence de trace archivistique permettant d’éclairer ces points.

À l’occasion de la préparation du livre Le Franc, les Monnaies, Les Archives, nous avons numérisé un grand nombre de registres d’archives que détenait la Monnaie de Paris et qu’elle a transférés au Service des Archives Economiques et Financières à Savigny-le-Temple.

Voici les éclairages apportés par les archives aux interrogations de M. Salaün.

Tout d’abord, plongeons-nous dans le registre des délivrances de 1834 pour Nantes [MEF-MACP, SAEF / X.Ms27].


Collections historiques de la Monnaie de Paris, X.Ms27

On y découvre que les délivrances suivantes ont été effectuées à Nantes :

  • 188 délivrances (dont 4 refondues) de 5 F du 7 janvier 1834 au 5 janvier 1835 pour un total de 2 118 481 exemplaires (incluant les échantillons pour tests des délivrances) ;
  • 13 délivrances de 2 F du 12/02/1834 au 15/12/1834 pour un total de 104 260 exemplaires ;
  • 8 délivrances de 1 F du 20/01/1834 au 18/12/1834 pour un total de 101 561 exemplaires ;
  • 4 délivrances (dont 1 refondue) de ½ F du 24/01/1834 au 12/09/1834 pour un total de 55 331 exemplaires ;
  • 2 délivrances de ¼ F du 25/01/1834 au 26/09/1834 pour un total de 33 561 exemplaires.

Six exemplaires pour chaque production sont utilisés pour réaliser les tests de délivrance.


Collections historiques de la Monnaie de Paris, X.Ms27

Les délivrances de 5 Francs varient de 5 158 à 22 158 exemplaires avec une moyenne qui s’établit à 11 500 exemplaires par délivrance.

Il y a un doute sur l’interprétation de la date consignée dans ce registre : s’agit-il de la date de production ou bien de celle du jugement de la délivrance ?

Quoiqu’il en soit, l’étude de la répartition des dates montre que la période d’inactivité la plus longue fut seulement de 6 jours du 3 au 8 août (le 3 était un dimanche mais nous n’avons pas de trace de l’application ou non dans les ateliers monétaires à cette époque d’un repos dominical).

Par grand bonheur, des registres de coins existent pour les monnaies de Louis-Philippe : [MEF-MACP, SAEF/Y,Ms.Fol.95] (1832 à 1847) et [MEF-MACP, SAEF/Y.Ms.Fol.96] (4e trimestre 1830 à 1843). Ces registres sont en partie redondants car ils couvrent de manière commune 1832 à 1843. Le premier registre comporte en plus le nombre de coins péris au travail et péris aux épreuves. La dernière étape de fabrication des coins est la trempe, une étape délicate. Lors de celle-ci, certains coins se brisent ou éclatent et sont consignés dans la colonne « coins péris au travail ». Lorsque les coins sont livrés par le graveur général, ils sont mis à l’épreuve avant leur envoi effectif aux ateliers de fabrication. À ce stade également, les coins peuvent se briser ou éclater. Ils entrent alors dans la colonne « péris aux épreuves ». Le Ms Fol 95 a été tenu par les graveurs généraux Nicolas-Pierre Tiolier puis Jacques-Jean Barre ou leurs représentants. Ce registre a été coté et paraphé par le commissaire général de la Monnaie : Joseph Moulard. Ces documents sont précieux car ils indiquent notamment le nombre de coins de revers et leur destination ainsi que la date à laquelle ils ont été livrés et le résultat de leurs épreuves. La date de livraison indiquée est quasi certainement celle de la livraison par le graveur général à l’Administration Centrale, correspondant à sa mise en épreuve avant expédition aux ateliers. Les coins d’avers ne sont pas distingués par atelier (aucune marque ou différent d’atelier ne figurant sur l’avers). Ils sont consignés avec le terme « Dépôt » dans la colonne « Destination ».

 

Aussi, avec ces registres nous ne pouvons pas savoir combien de coins d’avers ont été livrés à Nantes en 1834 mais nous savons combien de coins de revers destinés à Nantes ont été livrés par le graveur général et ont résisté aux épreuves :

  • 6 coins de revers de 5 Francs (14/01/1834)
  • 6 coins de revers de 5 Francs (22/03/1834)
  • 6 coins de revers de 5 Francs (09/04/1834)
  • 6 coins de revers de 5 Francs (10/06/1834)
  • 5 coins de revers de 5 Francs (08/10/1834)
  • 6 coins de revers de 5 Francs (10/11/1834)

Soit un total de 35 coins de revers.


© Collections historiques de la Monnaie de Paris, Y.Ms95


© Collections historiques de la Monnaie de Paris, Y.Ms96

À titre de comparaison, il y a eu pour Nantes 36 coins de revers livrés par le graveur général en 1833 et 10 en 1835. Les chiffres de fabrication ont été de 1 435 472 (1833), 2 118 377 (1834) et 293 311 (1835).

Peut-on pour autant en déduire que pour une production en 1834 d’environ 50 % supérieure à celle de 1833, il y a eu l’utilisation de la même quantité de coins (à un près : 35 contre 36) ?

Nullement ! Les archives de l’époque montrent clairement que l’Administration, malgré des remontrances aux ateliers, acceptait l’utilisation des surplus de coins de l’année précédente. Voici la retranscription d’un document d’archives présent dans notre ouvrage, page 434 : « Aux Commissaires du Roi (Strasbourg excepté) Malgré une recommandation, renouvelée chaque année à M.M. les Commissaires du Roi et à M.M. les Directeurs de la fabrication, d’apporter dans leurs demandes de coins de revers, surtout vers la fin de l’année, assez de réserve pour que ces coins puissent être employés avant le 1er janvier suivant ; il arrive cette année, ce qui a eu lieu en 1833, qu’un grand nombre de coins de revers restera sans emploi au 31 décembre courant. Pour que la valeur de ces coins ne tombe pas en pure perte à la charge du trésor, j’ai l’honneur de vous prévenir que la Commission a décidé que les Monnaies continueraient à faire usage, pendant les quatre premiers mois de 1835, (délai qu’elle juge satisfaisant) des coins de revers au millésime 1834, qui resteront encore bons à l’expiration de la présente année. »


Collections historiques de la Monnaie de Paris, MEF-MACP, SAEF / E2-1

Au regard de cette information, l’utilisation en 1834 des coins de revers n’a probablement pas été de 35 mais plutôt bien supérieure. Jusqu’à la fermeture de l’atelier de Nantes en 1835, il y a eu 163 coins valides de revers de 5 Francs livrés par le graveur général et portant la lettre d’atelier T de Nantes.

Avec la tolérance temporelle accordée par l’Administration, il est donc probable qu’hormis éventuellement quelques coins de 1835 (dus à la fermeture de l’atelier), tous ont été utilisés. Cela donnerait ainsi une moyenne de frappes d’environ 42 000 par coin de revers. Avec une production de 2 118 377, cela ferait une consommation d’une cinquantaine de coins pour 1834.

Doit-on en déduire que l’utilisation des coins d’avers fut également d’une cinquantaine ? Un document d’archives nous montre que cela serait une conclusion bien trop hâtive. Il s’agit du registre [MEF-MACP, SAEF/Y,Ms.Fol.63] qui consigne les consommations de coins d’avers et de revers ainsi que des viroles brisées, et ce par année et par atelier !

 
Collections historiques de la Monnaie de Paris, Y.Ms63

Malheureusement, ce précieux registre ne couvre que les années 1840 à 1875. Par conséquent, nous n’avons pas l’information pour 1834 à Nantes…

Toutefois, les informations des premières années de ce registre sont instructives et extrapolables à 1834 car la presse monétaire n’a pas encore substitué le balancier. Même s’il y a une grande disparité selon les ateliers, on constate globalement en synthèse, une nette surconsommation des coins d’avers au regard de celle de revers :

Avec une moyenne d’environ 30 000 pièces frappées par paire de coins, cela donnerait environ 70 paires de coins utilisées en 1834 à Nantes pour la 5 Francs. Avec des coins de revers estimés à une cinquantaine (la moyenne de 42 000 frappes environ par coin de revers à la base de ce calcul - voir ci-avant - est d’ailleurs confortée par la moyenne de 40 900 observée entre 1840 et 1843), cela donnerait un nombre d’avers utilisés proche de 100, ce qui est très plausible au vu de la surconsommation des coins d’avers versus celle de revers.

Pour une production qui s’est étalée en 188 délivrances, cela donne grosso modo une durée de vie des coins de revers de 4 jours contre 2 jours ou moins pour ceux d’avers.

L’hypothèse avancée dans l’article de M. Salaün n’est donc pas plausible. Le coin d’avers après sa cassure n’a pas pu permettre d’assurer une production sur plusieurs semaines en attendant une nouvelle livraison ou occasionner une suspension d’activité importante. Un coin peut se briser violemment d’un coup ou bien progressivement en commençant par une simple fêlure. Quand bien même cette fissure initiale est minime, elle occasionne une faiblesse dans la structure du coin qui diminue singulièrement sa durée de vie. Cela fut le cas pour le coin d’avers étudié par M. Salaün au travers des exemplaires retrouvés dans le trésor de Clisson. Par ailleurs, la grande présence de ce coin d’avers particulier dans ce trésor n’est nullement représentative de son occurrence dans la production globale nantaise de 1834. Elle est en quelque sorte fortuite, due d’une part à la constitution du trésor lui-même et d’autre part à un contrôle de qualité plus ou moins tolérant effectué à l’atelier de Nantes. Il est très probable que le propriétaire du trésor avait apporté des matières d’argent (peut-être sous forme de monnaies duodécimales anciennes, mais pas forcément car, à cette époque, tout particulier pouvait apporter aux ateliers monétaires des matières d’argent ou d’or sous des formes diverses) et ainsi reçu en échange des nouvelles monnaies d’une même délivrance et de surcroît rapprochées dans la succession des frappes. Le constat aurait été tout autre si le groupe d’écus de 1834 T présent dans le trésor s’était constitué sur la base de pièces extraites de la circulation sur plusieurs années et à des endroits différents…

Il est à noter qu’à cette époque, le directeur de l’atelier n’avait pas intérêt à pousser les frappes avec des coins usés ou cassés. En effet, à l’occasion de la décision, prise le 11 juin 1829, de démonétisation des espèces duodécimales, les refontes de ces monnaies et les frappes en nouvelles monnaies vont amener un travail et un bénéfice accrus pour les directeurs des ateliers de fabrication sur les années suivantes mais également des frais supplémentaires à l’État. La commission des monnaies en a profité pour faire accepter un changement d’importance aux directeurs d’ateliers : l’État ne prendra plus en charge les frais de fabrication des coins, qui seront reportés sur les directeurs de fabrication. Mais il y a un changement majeur qui a son importance ici : le graveur général ne sera plus payé au coin livré mais en fonction de la production des monnaies produites par les ateliers ! Après plusieurs échanges entre les trois parties, il est arrêté que le graveur général touchera 5 cts par kilogramme de matières d’or et d’argent fabriqué [MEF-MACP, SAEF / E2].
Le graveur général Tiolier obtiendra ultérieurement qu’une somme supplémentaire lui soit attribuée quand le poids des divisionnaires venait à dépasser les 1/40 du poids des 5 Francs produites, soit le ratio visé par la Commission des Monnaies. Le respect du ratio a son importance car il faut bien sûr moins de coins pour fabriquer le même poids en 5 Francs qu’en 2 Francs et ainsi de suite… Lors de ces échanges, il est aussi noté que les coins de 5 Francs frappent plus de flans que ceux de 2 Francs, ces derniers plus que ceux de 1 Franc et ainsi de suite, ce qui tient à « leur force et à leur consistance » (la géométrie des coins de plus en plus petits les rendant plus fragiles) [MEF-MACP, SAEF / E2].

Comme on peut le voir, le prix des coins payés par les directeurs d’atelier n’est pas lié au nombre de coins mais à la quantité de pièces frappées. Le directeur d’atelier a donc tout intérêt à les faire changer dès qu’ils sont usés ou fissurés. Tenter de pousser la production avec de tels coins lui amène plus de risques (celui d’endommager le balancier ou de voir sa délivrance refusée donc refondue à ses frais) et ce pour des bénéfices qui seraient, eux, pour le graveur général. Cela a d’ailleurs poussé les directeurs à faire des demandes de livraisons de coins surestimées. Pour cette raison, il est très peu probable que Nantes se soit retrouvé en rupture de stock de coins (ce que l’étude des périodes d’inactivité au vu des dates de délivrances nous laissait entendre également).

Tiolier ayant négocié avec l’Administration « qu’il soit indemnisé des coins qui pourraient lui rester à la fin de chaque exercice et qui deviendraient sans emploi, soit par un changement de millésime, ou par toute autre circonstance indépendante de la volonté de ce fonctionnaire. », cela avait poussé cette dernière à autoriser l’utilisation des coins d’un millésime les premiers mois de l’année suivante comme nous l’avons évoqué plus haut dans cet article. Cette pratique ne cessera d’ailleurs que quand les frais des surplus de coins demandés et non utilisés par les ateliers seront facturés en plus aux directeurs d’ateliers !

Voici terminé ce tour d’horizon des apports des archives à la problématique soulevée par M. Salaün dans son intéressante étude autour du Trésor de Clisson. Nous regrettons que le registre de correspondance ait été contaminé par les champignons au moment de notre phase de numérisation. L’avenir nous apportera donc peut-être encore d’autres éléments au sujet des écus frappés à Nantes en 1834 !

Philippe Théret - ADF 481
unionetforce@free.fr

RÉFÉRENCES

[MEF-MACP, SAEF / E2] Série E2, les technologies mécaniques appliquées au monnayage (1791 à 1946).

[MEF-MACP, SAEF / X.Ms27] Registre de fabrication Or et Argent 1834.

[MEF-MACP, SAEF / Y.Ms63] Or – argent. Moyennes des pièces frappées. 1840-1895.

[MEF-MACP, SAEF / Y.Ms95] Registre. Tirage et livraisons. Mars 1832 – juin 1847.

[MEF-MACP, SAEF / Y.Ms96] Type Louis Philippe Roi des français. Enregistrement des fournitures de coins et coussinets. Depuis le 9 août 1830.

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