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L'AUREUS DE DIOCLÉTIEN DÉCOUVERT À SAINT-RÉMY

| 14/09/2015
Publications

Samedi 12 septembre 2015, Laurent Schmitt a tenu une conférence auprès des membres de l'ANSR (Association numismatique San-Rémoise). Celle-ci avait pour thème "L’aureus de Dioclétien découvert à Saint-Rémy (71)".

Il n’est pas courant de découvrir une monnaie sur le site de sa commune. C’est pourtant ce qui s’est produit vers 1968 à Saint-Rémy (canton de Chalon-sur-Saône). Nous vous invitons à découvrir ci-dessous l'histoire de cet aureus ainsi que les circonstances qui ont entouré sa découverte.

Le contexte archéologique

« Au lieu-dit la Vigne de Saule », M. Alégoët a fouillé une partie d’un grand établissement déjà connu. Il a reconnu deux salles dont l’une, sur hypocauste (système de chauffage par le sol), était décorée d’une mosaïque géométrique : l’analyse des pierres a permis de préciser les lieux d’extraction (les cuves noires proviennent des carrières d’Antully près d’Autun). Un dépotoir a livré du matériel du Ier siècle ; à signaler d’autre part un aureus de Dioclétien. » C. Rolley, Gallia 30, 1972, p. 460 et fig. 37 (photo).

Dans ce résumé des informations archéologiques de Bourgogne publié dans la revue Gallia en 1972, nous apprenons qu’au cours d’une fouille archéologique, un monument gallo-romain a été fouillé, comprenant un espace thermal. Et fortuitement en annexe, le même texte nous signale la découverte d’un aureus de Dioclétien qui est illustré dans la revue archéologique Gallia, sans contexte et sans explication.

L’archéologue responsable de la fouille a publié succinctement le fruit de ses recherches : C. Alégoët, Mém. Soc. Hist et Arch. Chalon-sur-Saône, 40, 1968-1969, p. 46 et 55, photogr. pl. 9.

Le responsable des Antiquités de Bourgogne, C. Rolley est revenu sur la publication de l’aureus dans le cadre d’une exposition qui s’est tenue à Dijon en 1973, organisée par la Direction des antiquités historiques de Bourgogne, L’Art de la Bourgogne romaine, découvertes récentes. Musée archéologique de Dijon, avril-juin 1973. Le catalogue fut rédigé par Simone Dyts et Claude Rolley avec la collaboration d’Odile Cortet et de Jacques Messonnier. L’aureus est publié à la notice 183, pl. XLVII.

C’est grâce à l’ouvrage de Jean-Pierre Callu et de Xavier Loriot, L’or monnayé II. La dispersion des aurei en Gaule romaine sous l’Empire, Cahiers Ernest Babelon 3, Juan-les-Pins, 1990,  p. 271, notice 607 que nous avons pu prendre connaissance de cette découverte : 607 Saint-Rémy (arr. Chalon-sur-Saône, c. Chalon-sur-Saône sud). « Peu avant 1968, au l.d. « Vigne de Saule «  dans un hypocauste aureus de Dioclétien. » décrit sommairement de la manière suivante : R/ IOVI CONSERVATORI AVG, O dans le champ à g., SMA (RIC. V/2 316 ; Antioche 284/) – poids 4,55 g – Musée de Chalon-sur-Saône.

La description est suivie de la bibliographie que nous venons de vous détailler.

L’aureus de Dioclétien a donc été découvert vers 1968 date de la première publication sur le sujet de C. Alégoët. Il devrait être normalement toujours conservé au musée de Chalon-sur-Saône. Nous possédons son poids (4,55 g), la description sommaire de son revers, l’indication de son atelier de fabrication, Antioche, sa date de production 284-285 et une référence bibliographique renvoyant au Roman Imperial Coinage, volume V/2, publié à Londres en 1933 à la page 254, n° 316.

Contexte historique

L’aureus découvert à Saint-Rémy est de Dioclétien. Cet empereur romain a régné à la fin du IIIe siècle de notre entre le 20 novembre 284 et le 1er mai 305. C’est un des rares empereurs a avoir abdiqué. Après le 1er mai 305, il s’est retiré dans le palais qu’il s’était fait construire à Split (aujourd’hui en Croatie, à l’époque en Illyrie). Il y est mort en 313 ou en 316. C’est aussi le créateur d’un nouveau régime politique, la Tétrarchie (gouvernement à quatre, deux Augustes, Dioclétien et Maximien Hercule et deux Césars, Constance Chlore et Galère). Il est aussi considéré comme le fondateur d’un nouveau type de régime politique qui succède au Principat du Haut Empire, le Dominat qui marque la naissance du Bas Empire, que nous appelons aujourd’hui sous le vocable de l’Antiquité tardive. Cette période prend fin avec la fin de l’Empire Romain en 476.

(Reconstitution du Palais de Dioclétien par Ernest Hébrard)

Dioclétien est donc un empereur très important, le fondateur d’un nouveau régime. Il est en outre à l’origine de l’une des dernières grandes persécutions contre les Chrétiens qui débuta en 303 et ne fut interrompue définitivement qu’en 311 par Galère. La conséquence directe de cette persécution fut la prise de l’Édit (plutôt rescrit) de Milan en 313, par Constantin Ier le Grand et Licinius qui proclamaient la liberté de culte et le rétablissement du Christianisme dans ses droits. Cette date marque le début du triomphe de la religion chrétienne après la victoire du Pont Milvius en 312.

Dioclétien est donc un personnage connu. Il suffit de regarder le bloc de marbre de la cathédrale saint Marc à Venise, fruit d’un pillage de Constantinople lors de la quatrième croisade de 1204, où il est représenté avec ses trois collègues.

 

Contexte numismatique

Nous allons revenir sur la description complète et précise de l’aureus de Dioclétien découvert à Saint-Rémy.

- AVERS

A/ IMP C C VAL DIOCLETIANVS P F AVG

« Imperator Cæsar Caius Valerius Diocletianus Pius Felix Augustus », (L’Empereur César Caius Valère Dioclétien Pieux et Heureux Auguste)

Buste lauré, drapé et cuirassé de Dioclétien à droite, vu de trois quarts en avant (A*). Les rubans qui descendent derrière la couronne de laurier sont bouletées. Le paludamentum (manteau pourpre du général et par extension de l’empereur) est fixé par une fibule attachée sur l’épaule. Les ptéryges (lanières de cuir ou de métal) suggèrent la cuirasse qui se trouve sous le paludamentum.

- REVERS

R/ IOVI CONSERV-ATORI AVG/ o|-// SMA

« Iovi Conservatori Augusti/ septenta|-// Sacra Moneta Antiochia », (À Jupiter protecteur de l’Auguste/ taillé au 1/70 L./ Monnaie sacrée d’Antioche)

Jupiter, nu debout de face tourné à gauche, le manteau sur l’épaule, tenant un foudre de la main droite et s’appuyant de la main gauche sur un long sceptre

Antioche, 284.

C. 272* (80f.) – RIC. 316 – HCC. 64 - RCV. 12551 – Calico 4515b – Depeyrot, p. 137, 1/1 (26 ex.)

L’empereur outre la titulature indique ses tria nomina, Caius (son praenomem), Valerius (sa gens) et Diocletianus (nomen). Le choix du buste qui accompagne la légende est tout à fait traditionnel.

Au revers la légende est au datif (À Jupiter protecteur de l’Auguste) et est explicite. Elle est accompagnée par un Jupiter en majesté, tenant le foudre et le sceptre (mais sans l’aigle). Dioclétien dès le début de son règne se place donc sous la protection de Jupiter, le dieu principal du panthéon romain.

Le régime qu’il va fonder dès l’année suivante en associant d’abord comme César, puis comme Auguste, son collègue Maximien Hercule, puis en 293 avec la création d’un nouveau régime la Tétrarchie, où chaque César, est associé à un Auguste, Dioclétien/Galère, Maximien Hercule/Constance Chlore est autant politique que religieux. Le premier couple d’essence Jovienne (associé à Jupiter) est prédominant sur le second couple (associé à Hercule) auquel il est subordonné hiérarchiquement.

Cette description peut sembler ésotérique. Dans la description d’Henry Cohen, Description historique des monnaies frappées sous l’Empire Romain communément appelées médailles impériales, t. VI, Paris, 1886, p. 442, n° 272, la marque abréviative numérale était décrite comme une couronne alors qu’il s’agit de la lettre numérale grecque (omicron, O) pour 70. Il s’agit en fait de l’indication de la taille à la livre de cet aureus. La livre romaine correspondait à 12 onces, 288 scrupules ou 1728 siliques et sa masse pèse 324,72 g d’après les travaux de J. Lafaurie, soit pour notre aureus, un poids théorique de 4,64 g.

Notre pièce pèse 4,55 g soit une perte de 0,09 g par rapport au poids théorique. Le poids de l’aureus s’est considérablement affaissé depuis la réforme de Néron en 64 qui abaissa le poids au 1/45 L. (poids théorique : 7,22 g). La réforme de Caracalla en 215 consacra le nouvel aureus au 1/50 L. (poids théorique : 6,50 g.). Mais il fut encore amoindri au IIIe siècle, en particulier sous le règne de Gallien.

Dioclétien au début de son règne affirme ainsi sa volonté de restauration monétaire du monnayage en général, de l’or en particulier, en indiquant sa taille sur les espèces. Le titre de l’aureus est pratiquement pur (24 carats ou proche de 1000 millièmes).

La datation de cet aureus est mouvante entre 284 et 286. En fait, Georges Depeyrot, Les monnaies d’or de Dioclétien à Constantin I (284-337), Wetteren, 1995, p. 137 en reprenant les conclusions de Pierre Bastien, Monnaie et Donativa au Bas Empire, Wetteren, 1988, p.. 61, note 8, indique que cette émission d’Antioche est liée au donativum d’accession de Dioclétien après le 20 novembre 284, avant la fin de l’année 284.

Contexte Politique

Dioclétien a pris le pouvoir après la disparition de Numérien en novembre 284, peut-être assassiné par son préfet du prétoire, Aper. Dioclétien a vengé la mort de Numérien en se débarrassant de son assassin de beau-père et revêtu la pourpre le 20 novembre 284. À cette date, il est en Orient et ne contrôle pas l’ensemble de l’Empire.

Carin le frère de Numérien règne sur l’Occident. Dioclétien ne prend possession de l’ensemble de l’Empire qu’après la disparition de Carin à la bataille du Margus en juin/juillet 285. Au moment de cette émission, Dioclétien qui doit s’assurer la fidélité de ses troupes, est un usurpateur, révolté contre l’empereur officiel de Rome. Il doit donc affirmer sa légitimité.

Notre aureus, taillé au 1/70 L. pesant 4,55 g pour notre exemplaire a été frappé à l’atelier d’Antioche à la fin de l’année 284 (fin novembre – fin décembre 284). C’est la première émission de l’atelier et peut-être l’une des premières émissions du règne. Il a certainement été distribué aux troupes du nouvel empereur ou tout du moins à son état-major et aux officiers de l’armée.

L’émission a du être importante, puisque plusieurs variantes sont indiquées. La principale concerne l’adjonction d’une étoile en fin de la marque d’exergue de l’atelier SMA et SMA*. Cette seconde marque semble beaucoup plus rare et pourrait constituer une seconde émission, un peu plus tardive. Pour notre type, nous trouvons la marque de taille de l’aureus soit à gauche ou à droite, dans le champ inférieur de la monnaie, placée de manière discrète. G. Depeyrot a recensé vingt-six exemplaires pour les deux variétés et seulement trois exemplaires pour la marque avec l’étoile. Cette émission a donc du être importante et Dioclétien devait disposer de moyens conséquents afin de pouvoir mettre en œuvre une telle masse monétaire.

La valeur de l’aureus, à cette époque, est fluctuante entre 600 et 1000 deniers, entre les règnes de Claude II et de Dioclétien. Le pouvoir d’achat de l’aureus est donc important. Sa possession place son propriétaire dans une situation confortable. Sa perte entraîne un amoindrissement. Le fait que l’aureus de Dioclétien ait été perdu plutôt qu’abandonné à Saint-Rémy, peut laisser penser que son propriétaire a dû le chercher pendant longtemps. L’a-t-il d’ailleurs perdu ou égaré en se rendant aux bains par exemple ?

Que pouvait-on acheter avec une telle somme ?

En 301, l’Édit du Maximum nous fournit quelque exemples de prix à ne pas dépasser (d’où son appellation). Un setier italique (9,54 L) de vin ordinaire coûtait 8 deniers et un vin vieux de 1re qualité le triple. Un ouvrier agricole nourri gagnait 25 deniers par jour, pour une paire de poulet, il fallait débourser 60 deniers. Le pouvoir d’achat de l’aureus est donc important, mais n’a rien à voir avec le prix d’un esclave mâle de 16 à 40 ans, 30.000 deniers ou d’un lion pour les jeux de 1re qualité, 150.000 deniers !

Les trouvailles isolées de monnaies d’or sont-elles pour autant exceptionnelles?

Jean-Pierre Callu et Xavier Loriot ont recensé vingt aurei de Dioclétien dans leur inventaire en 1990 sur un total de 1868 pièces isolées trouvées sur l’ensemble du territoire de la Gaule romaine, soit un peu plus de 1% des monnaies inventoriées. Si nous prenons le département de la Saône-et-Loire (71), les mêmes auteurs avaient relevé, 41 mentions certaines et 5 non retenues. Sur cet ensemble, trois découvertes concernent des aurei de Dioclétien soit plus de 7%. Outre notre aureus trouvé à Saint-Rémy, nous avons la mention d’un aureus de Dioclétien non décrit découvert vers 1890 à Barizey (arr. Chalon-sur-Saône, c. Givry, Callu/Loriot, n° 608) et surtout la découverte d’Autun avant mai 1911 sur les bords de l’Arroux, d’un aureus de Dioclétien de l’atelier d’Antioche de la même émission de donativum mais avec un autre revers (R/ VICTORIA AVG/ -|o// SMA (RIC V/2 320) poids : 4,40 g dont Georges Depeyrot a recensé 46 exemplaires dans son inventaire (Depeyrot, n° 1/2).

Comment deux aurei frappés à Antioche, par Dioclétien au début de son règne ont-ils faits pour se retrouver à Autun et dans les environs de Chalon-sur-Saône ? Les armées et les soldats voyageaient beaucoup. Dioclétien a conquis son trône par les armes en éliminant Carin. Les armées se déplaçaient beaucoup et il n’est pas impensable d’imaginer que les deux aurei trouvés dans le département aient empruntés la bourse d’un soldat ou d’un commerçant, suivant les pérégrinations des armées.

 

L'histoire de cet aureus nous a permis de découvrir un pan de l’histoire communale de Saint-Rémy et de son passé gallo-romain. Nous avons pu découvrir que des monnaies romaines en or étaient frappées en Orient au IIIe siècle, sur le territoire de l’actuelle Syrie. Cet aureus nous a montré que non seulement les hommes pouvaient voyager mais aussi qu'une monnaie frappée vers la fin de l’année 284 est venue finir sa vie  au cœur de la Bourgogne. Elle a attendue près de 1.600 ans avant d’être découverte.

(Texte de la conférence de M. Laurent Schmitt, le 12 septembre 2015 à Saint-Rémy).

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