le blog numismatiquele blog numismatique
Dans tout le blogDans ma sélection

10 QUESTIONS À JOAQUIN JIMENEZ, GRAVEUR GÉNÉRAL DE LA MONNAIE DE PARIS

| 17/12/2020
Informations

PORTRAIT DE JOAQUIN JIMENEZ,
NOUVEAU GRAVEUR GÉNÉRAL DE LA MONNAIE DE PARIS

1 - CGB : Joaquin Jimenez, vous avez été nommé en juillet dernier graveur général de la Monnaie de Paris par son PDG Marc Schwartz. Quelle feuille de route vous a été confiée ?
Joaquin Jimenez :
La volonté du président de la Monnaie de Paris était de renouer avec ce qui était en place historiquement. L’ancien graveur général, Pierre RODIER, qui est un peu notre maître à tous, en a d’ailleurs été très, très heureux. Lors de ma nomination, j’étais directeur de la création, donc je dirigeais l’atelier de gravure. J’en avais les fonctions, mais pas le titre. Ce titre avait été supprimé en 2001 pour la bonne et simple raison qu’il n’y avait plus de prix de Rome. Pour être graveur général, il fallait en effet être prix de Rome ou, dans le cas de Pierre RODIER, je crois, prix du Salon des indépendants. Pour ma part, je réunis d’autres titres, dont plusieurs Coty du salon de Berlin et le Life Achievement Award, décerné par la profession internationale. Le président Schwartz a donc décidé de remettre ce titre à l’honneur et de redonner sa place à l’atelier de gravure. C’est un grand souci qu’il a et qu’il s’attache à mettre en pratique, ainsi que celui de remettre l’atelier de gravure au cœur de la création de la Monnaie, ce qui va dans le bon sens. Pour ce qui est de la feuille de route, en tant que conservatoire, nous nous devons d’enseigner les techniques anciennes. Bien sûr, notre institution fonctionne avec les dernières techniques contemporaines de création utilisées par toute la profession et même d’autres professions. Je pense au numérique, au laser, en captation, en restitution : on scanne au laser, on grave au laser, etc. Mais au-delà de ces techniques, la ligne du président, qui est aussi la mienne, est de continuer à enseigner notre patrimoine des techniques de gravure aux jeunes générations, afin quelles ne se servent pas des outils contemporains de la même manière que le ferait n’importe quel graphiste. Cette notion de conservatoire est importante. C’est « l’intelligence de la main », comme le dit si souvent mon ami Guy Savoy. Nous nous devons de la conserver, de la pérenniser, de la ré-enseigner en permanence.

2 -CGB : Créée en 864, la plus ancienne institution française a le souci de renouveler son offre, avec notamment des séries consacrées aux bandes dessinées. Le renouvellement des collectionneurs est une de vos préoccupations prioritaires ?
Joaquin Jimenez :
Oui, nous avons le souhait de contenter nos collectionneurs numismates. Ce sont eux qui font l’histoire de la monnaie. Il ne faut pas l’oublier. À travers leurs collections, ils inscrivent la création numismatique dans la durée. C’est évidemment un souci central pour nous. On les questionne beaucoup. Ce sont les Amis de l’Euro ainsi que de nombreuses autres associations. Elles sont les bienvenues, nous les recevons, les écoutons, et même si le résultat n’est pas immédiatement visible, nous tenons compte de leur parole, bien entendu. La Monnaie doit aussi capter de futurs collectionneurs. Pour cela, nous suscitons aussi l’achat de monnaies de collection par thème. Si je crée une monnaie sur Napoléon, je ne vais pas toucher que les numismates, mais aussi les passionnés de Napoléon qui, dans leur carrière, vont acheter deux, trois ou quatre pièces - peu importe. Eux aussi, il faut les captiver, les intéresser à l’histoire que l’on raconte sur ces pièces.

3 -CGB : La création numismatique connaît des mutations profondes tant sur le plan technologique que des thématiques qu’elle incarne. Pour se renouveler, la création numismatique doit puiser dans ses racines ? Dans l’air du temps ?
Joaquin Jimenez :
Je dirais que c’est une relecture de l’histoire avec l’air du temps. Comme vous l’avez constaté, je n’ai pas l’habitude de traiter les sujets historiques de la même manière qu’on le faisait avant. J’attache une grande importance à la vision des graveurs d’aujourd’hui sur l’histoire, sur la numismatique elle-même. On ne fait plus une pièce comme on la faisait avant, avec les codes monétaires imposant une face avec un portrait, les lauriers, etc. Tout était vraiment hyper codé. Aujourd’hui, on raconte plutôt une histoire, la monnaie incarne un récit. Et la forme a changé. On part d’une forme extrêmement classique, toujours, mais avec des clins d’œil. Regardez ce que l’on a fait avec Astérix et la 2 euros. Qui aurait pensé que l’on mettrait un jour la tête d’Astérix en position de César ! Il y a aussi cette envie de faire bouger les choses, d’actualiser. Graphiquement, nous avons aussi un univers qui est reconnu maintenant dans le monde entier, un univers où on « s’amuse » à raconter quelque chose. Créer une monnaie n’est plus un support des rois ou de la République. Évidemment, on y écrit des messages. Nous sommes un des médiums supportant aussi les messages de la République : Liberté, Égalité, Fraternité, une Marianne, on ne fait pas ça n’importe comment. Mais aujourd’hui, les médailles – pardon, quel lapsus ! – les monnaies de collection que nous créons racontent une histoire, explorent une thématique qui doit être comprise à la fois dès le premier regard, mais aussi dans sa profondeur. Elles véhiculent un message assez complexe composé de multiples strates, d’histoire, de renseignements et offrent par là même plusieurs lectures.

4 -CGB : Les thématiques proposées par la Monnaie de Paris reflètent sa philosophie, mais le travail esthétique de ses représentations est, lui aussi, porteur de messages, tantôt explicites tantôt habilement dissimulés. À travers votre travail créatif, de quelles idées, de quelles valeurs souhaiteriez-vous être le gardien ou le porteur, à cette charge ?
Joaquin Jimenez :
J’ai un grand respect de tout ce qui est régalien, officiel, les pièces circulantes, etc. J’ai également chevillée au corps l’idée que l’on est porteur d’un message de la République. Il est assez simple, et contenu dans sa devise. Liberté, Égalité, Fraternité. C’est très important. République française est une autre mention obligatoire. Vous imaginez tout ce qui est caché derrière ces quelques mots ? D’autre part, dans tout ce que nous faisons, moi et d’autres, il y a un souci bien entendu esthétique et de qualité. Graver est véritablement un travail. C’est d’ailleurs la notion qui s’inscrit dans mon différent, un carré dans un carré, le carré étant un signe de terre représentant le travail. Or, la majorité des artistes parlent non pas de leur œuvre mais de leur travail. Le peintre travaille sur un tableau et, un jour ou l’autre, il retourne son tableau et pense au lendemain. Nous travaillons exactement de la même manière. La monnaie qui va nous intéresser, c’est celle qui va suivre. Nous assurons une sorte de continuité, sous le signe du travail. Pour en revenir à mon différent, le carré dans le carré, ce sont mes initiales. Ce différent, qui apparaissait déjà dans mes créations, figure le plus souvent dans une monnaie circulaire, le cercle étant le signe de la perfection, le signe céleste. Ainsi, le graveur est au travail, un travail inscrit dans une dynamique qui tend vers une forme de perfection, mais ça n’est que du travail. Restons à notre place ! Et cette valeur travail rejaillit dans toutes mes créations. Je m’y attèle du mieux possible et tente de faire passer des messages, des messages qui sont aussi en général liés à cette devise. Liberté, pour la liberté d’expression. Egalité, évidemment, et fraternité, ça va sans dire. Et plus le message est lu par un grand nombre, mieux c’est. C’est un exercice difficile. Il faut à la fois montrer les choses, être lisible, et savoir les suggérer. C’est tout le problème aussi lorsque l’on fait des modèles un peu plus abstraits. Sur un support populaire, il faut que le message soit aussi lisible.

5 -CGB : L’œuvre d’art en général se niche aux confins de forces contraires : tumulte de l’esprit contre rigueur du savoir-faire, licence créative contre contraintes de la matière. Vous-même avez commencé votre carrière par des médailles gros modules avant de passer à des pièces circulantes, avec moins d’espace de liberté et plus de contraintes. La contrainte est-elle essentielle pour stimuler votre créativité ?
Joaquin Jimenez :
[Sourire] La contrainte, à un moment, on l’oublie… Je vais répondre de manière beaucoup plus générale. Quel que soit votre domaine d’expérimentation artistique, vous devez apprendre. Prenons l’exemple de la musique. Si vous vous dirigez vers la musique, c’est parce que vous avez d’abord ce que je qualifierais non pas de don mais d’affinité avec celle-ci. Vous commencez par apprendre le solfège puis par faire des gammes. C’est contraignant. La gravure, c’est contraignant. La sculpture c’est contraignant. Mais quand on est fait pour ça, on avale la contrainte assez vite. Une fois que l’on a la technique, on peut s’amuser. On peut jouer de l’instrument. On joue de la gravure, etc. Et, dans un dernier temps, il s’agit de faire de la musique, ou de graver, ou de peindre, ou de sculpter quelque chose qui a du sens. Et là, quand on a structuré son geste, qu’on a appris la technique, qu’on a fait ses gammes, on est alors capable d’exprimer, et même de déstructurer. On n’est plus obligé de suivre. La spontanéité dépourvue de technique peut certes exister, mais dans la gravure, elle passe de toute façon par le savoir-faire. C’est comme le violon.

6 -CGB : Votre nom susurre à l’oreille des origines hispanophones, vous avez concouru dans de nombreuses compétitions internationales et créé pour un grand nombre d’institutions de par le monde. Comment qualifieriez-vous la création numismatique française d’aujourd’hui par rapport à ce que vous observez dans d’autres pays ?
Joaquin Jimenez :
La création numismatique française est riche, à l’instar d’autres Monnaies qui nous sont proches. On est dans le carré ou dans le trio de tête des Monnaies les plus créatives. C’est important, il faut y rester. Notre style est reconnu, et c’est aussi la raison pour laquelle nous parvenons à récolter de nombreux prix. Elle est donc appréciée, aussi. On apprécie la création française parce qu’elle est diverse, et toujours un peu originale, également. Et elle est riche. Elle est riche culturellement. Voilà une autre chose qui m’est aussi très chère : la culture. Imaginez que vous dessinez une girafe. Si vous êtes cultivé, vous la dessinerez intelligente. Ou alors chargée de quelque chose. C’est aussi simple que ça. Pour moi, ces métiers-là ne vont pas sans la culture. Il faut être curieux, se plonger dans la littérature, s’imprégner du monde tel qu’il est autour de nous, de ce qu’il a été dans la littérature mais aussi de ce qu’il est aujourd’hui. Il faut être actuel. Et la culture est indispensable. La culture et l’éducation sauveront tout.

7 -CGB : Certaines nations ont prôné la fin de l’argent liquide, comme la Suède, dont l’initiative, d’abord jugée improbable, a pourtant prospéré avant de faire face aujourd’hui à des vents contraires. Que vous inspire cette évolution ?
Joaquin Jimenez :
Tout comme le président Schwartz, qui l’a très bien dit dans de récents articles, je pense d’abord que la monnaie circulante, dont on dit parfois qu’elle est en perte de vitesse, suit une courbe encore croissante. Par ailleurs, je trouve que la disparition d’une monnaie qui alimente notamment une micro-économie serait une erreur totale, et je pense qu’elle ne disparaîtra pas, je pense qu’elle ne s’arrêtera jamais. Pour ce qui est des pièces de collection, il n’y a pas de raison que cela s’arrête. Elles sont toujours un support extraordinaire d’expression, d’histoire, de commémoration, d’expression artistique, qui ne s’arrêtera pas, et ce même si, de par l’histoire, la monnaie circulante métallique disparaissait, ce qui n’est pas mon souhait ni… De toute façon, je n’y crois pas.

8 -CGB : Vous avez grandi entouré d’artistes et étudié vous-même les lettres et les beaux-arts. Vous exprimez-vous à travers d’autres arts que la gravure ?
Joaquin Jimenez :
Oui, j’ai longtemps peint, j’ai commencé à faire des décors, de la sculpture, et ma mère était pianiste. Je suis issu d’une famille aussi de musiciens. J’ai donc pratiqué la musique. Je le conseille à tous les enfants. Dans la mesure du possible, on devrait obligatoirement l’enseigner, parce que la musique structure aussi l’esprit dans une autre langue, qui offre une autre expression. Je n’en fais plus moi-même, il y a longtemps que j’ai abandonné mon instrument, le violoncelle. Mais mon épouse est pianiste et, pour l’anecdote, pour financer mes cours quand j’étais plus jeune, et après encore, j’ai chanté dans des chœurs d’opéra en tant qu’amateur. J’étais donc musicien, familier des partitions, et avec les copains des Beaux-Arts, on allait ainsi dans les chœurs d’opéra pour payer nos études. En tant qu’amateur on côtoyait des professionnels, ce qui nous donnait une petite idée du chemin à parcourir. C’était de bonnes leçons, ça… Vous voyez, en débutant avec des décors, j’ai commencé dans le très grand et terminé dans le tout petit !

9 -CGB : Êtes-vous vous-même collectionneur ? À quelles monnaies va votre préférence ? Collectionnez-vous d’autres objets ?
Joaquin Jimenez :
Je ne suis pas vraiment collectionneur dans l’âme. Ma carrière dans la Monnaie est une rencontre plus qu’un souhait de départ. J’ai commencé en passant les concours. J’en ai gagné un certain nombre et j’en ai fait mon métier, les directeurs successifs de la Monnaie m’ayant demandé de l’intégrer. Mais, même si je m’intéresse de très près à la question, je ne suis pas collectionneur. Je collectionne bien sûr quelques pièces qui m’intéressent, pas forcément les miennes, mais des monnaies étrangères ou des choses intéressantes techniquement ou artistiquement, de l’étranger comme de chez nous. Ce sont un peu des coups de cœur. Et les coups de cœur passent très vite. Pour répondre à votre question, je pourrais citer la pièce avec le ciel translucide et le clair de Terre, qui célèbre le 50e anniversaire des premiers pas sur la Lune, ou celle commémorant la chute du mur de Berlin. J’aime aussi particulièrement la série de monnaies réalisée récemment avec Guy Savoy. Mais, à vrai dire, ce qui m’intéresse, c’est la prochaine. J’arrive très, très bien à oublier celle que j’ai faite hier. Le fait d’être dans la poche des Français me laisse à peu près indifférent. Je surprends souvent en le disant, mais c’est vrai. Ce qui m’intéresse n’est pas ce que je suis devenu, mais ce que je fais. Et c’est la définition même de la poésie. Le poète est celui qui fait, qui travaille. L’artiste ne se qualifie pas d’artiste lui-même. Il est dans le travail. On le dit parfois éthéré, épris d’un absolu de liberté, etc., mais il n’en est rien. Il est dans le travail.

10 -CGB : Quelles ambitions un graveur général de la Monnaie de Paris peut-il encore nourrir ?
Joaquin Jimenez :
Avoir le titre de graveur général ne va rien changer à ce qui me nourrit. Finalement, ce n’est qu’un nom sur une fonction que j’avais déjà. Mon seul souci est de veiller à ce que, lors de mon départ, la Monnaie, s’agissant de l’atelier de gravure, soit dans un état aussi bon, voire meilleur - si toutefois c’est possible, car il y existe déjà un niveau d’excellence exceptionnel. Je suis pour une obsolescence désirée. C’est une notion importante pour moi. Je le dis aux jeunes graveurs : dans tous les domaines, il faudra un jour tuer le père. C’est pourquoi je les fais participer énormément à la création, etc. Ce sont eux qui auront les clés du monde de la gravure dans quelques années. Et je suis persuadé qu’il sera largement aussi bien que le mien. C’est mon but. C’est qu’après moi, ce soit mieux. C’est mon idée de l’obsolescence, que je souhaite voulue. C’est pourquoi, chez moi, tout est ouvert. Je donne tout ce que je sais. C’est la vie. Quelle meilleure récompense que de savoir ceux que vous avez formés, qui viennent derrière vous, sont heureux d’être.

Interview réalisée par Philippe Cornu

 

facebooktwitter
A-
A+
L'équipe cgb.fr - contact@cgb.fr
La boutique des monnaies et billets cgb.fr
Les boutiques cgb.fr

Des dizaines de milliers de monnaies et billets de collection différents disponibles. Tous les livres et fournitures numismatiques pour classer vos monnaies et billets.
Les live auctions de cgb.fr
Les live-auctions cgb.fr

Découvrez les nouvelles live auctions de cgb.fr !
Les e-auctions de cgb.fr - prix de départ 1
Les e-auctions - cgb.fr

Prix de départ 1 Euro, pas de frais acheteur, les collectionneurs fixent le prix de l'article !
Le Bulletin Numismatique
Le Bulletin Numismatique
Retrouvez tous les mois 32 pages d'articles, d'informations, de photos sur les monnaies et les billets ainsi que les forums des Amis du Franc et des Amis de l'Euro.
Le e-FRANC
Le e-FRANC

Retrouvez la valeur de vos monnaies en Francs. De la 1 centime à la 100 Francs, de 1795 à 2001, toutes les cotations des pièces en Francs.
La boutique des monnaies françaises 1795-2001
cgb.fr - 36,rue Vivienne - F-75002 PARIS - FRANCE - mail: blog@cgb.fr
Mentions légales - Copyright ©1996-2014 - cgb.fr - Tous droits réservés

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies et autres traceurs afin de vous offrir une expérience optimale.

x