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L’ÉNIGMATIQUE JETON VERDUNOIS DES TROIS FRÈRES... | 20/05/2021 Informations L’ÉNIGMATIQUE JETON VERDUNOIS DES TROIS FRÈRES, En cette année 2021, la numismatique verdunoise, féodale pendant la période du Moyen Âge, seigneuriale pendant celle de la protection française (1552-1648), est à l’honneur. Grâce au numismate lorrain Bruno Jané, consultant en numismatique, connu pour son investissement dans L’Or de Metz (cf. Bulletin Numismatique n° 205, février 2021, p. 16), le remarquable musée de la Princerie à Verdun organise à l’automne une très belle exposition numismatique accompagnée de conférences et autres animations. Cette manifestation aurait dû avoir lieu l’an dernier à la même époque mais elle a été reportée cette année en raison de la Covid 19. Elle a été précédée début 2020 de la publication de la collection de monnaies verdunoises du musée dans le très bel ouvrage-catalogue intitulé Le monnayage des princes-évêques de Verdun (en vente sur Cgb.fr et au magasin, 36 rue Vivienne, 75002 Paris, Cf. Bulletin Numismatique n° 195, mars 2020, p.10). Cette manifestation verdunoise est l’occasion de faire le point sur le monnayage de cet évêché d’empire pendant la période de la protection française (1552-1648), avant son rattachement définitif à la France par le traité de Munster en Westphalie en 1648. En effet, ce sujet ayant été seulement effleuré par Dominique Flon en 2002, il convient de mettre à jour les remarquables publications de Pierre-Charles Robert en 1885-1886 et de Félix Liénard en 1889. À l’époque, plusieurs questions énigmatiques étaient restées en suspens auxquelles D. Flon n’a pas apporté de réponse. Parmi celles-ci, la datation du florin d’or à la Vierge non millésimé et la date réelle de fabrication du jeton millésimé 1617 évoquant les trois frères de la famille de Lorraine-Chaligny, cousins du duc de Lorraine, dont deux furent princes-évêques de Verdun (1611-1622 et 1622-1661), le troisième commandant en chef de l’armée du duc de Lorraine Charles IV défendant Nancy contre l’armée française en 1633-1634. Les motifs et les légendes de ce jeton se complètent parfaitement, tant à l’avers qu’au revers. Au droit, la légende CONCORDIAE FRATRVM qui signifie « A la concorde entre les frères » entoure les armes pleines de Lorraine, brisées d’un lambel logique puisqu’il ne s’agit pas de la branche aînée régnant sur les duchés de Lorraine et de Bar mais de la branche cadette de Lorraine-Chaligny. Ces armes sont dans un écu timbré d’un heaume surmonté de la couronne ducale qui est lui-même accosté de deux mitres épiscopales. Au revers, la légende HOC. NEXV. VINCIT. INVICTI., accompagnée du millésime 1617, signifie que « ceux qui sont unis par ce lien sont invincibles ». Le lien en question figure dans le motif : c’est un nœud d’amour dit lac d’amour qui entoure deux crosses épiscopales séparées par une épée (glaive). Ces trois objets, crosses épiscopales et épée, sont intimement liées par le lac d’amour : cette figure symbolique signifie qu’il existe une totale union entre les deux prélats, symbolisés par les crosses épiscopales, et leur frère guerrier symbolisé par l’épée. (fig.1, exemplaire en argent). Remarquons que les trois frères sont mis sur un pied d’égalité, compte tenu de leurs fonctions respectives : Charles et François furent successivement évêques de Verdun, respectivement de 1611 à 1622 pour le premier et de 1622 à 1661 pour le second et leur frère cadet Henri, marquis de Mouy, fut effectivement général de l’armée lorraine ducale. Ce constat toutefois amène, comme nous le verrons plus loin, à contester la date 1617 comme pouvant être celle de la frappe du jeton. Je pense en effet que cette frappe n’a pu être effectuée avant l’épiscopat de François (1622) et la reconnaissance d’Henri comme chef de guerre (années 1620-1630). Les descriptions de Robert (1885) et de Liénard (1889) sont laconiques. En outre, elles ne signalent pas que le millésime 1617 ne peut pas être celui de la frappe du jeton mais qu’il se rapporte à un événement important de la vie des trois frères de Lorraine-Chaligny. Robert écrit : « M. F. Clouet1 considère ce jeton comme faisant allusion aux liens fraternels qui unissaient le cardinal (sic) Charles et ses deux frères, c’est-à-dire François, à qui il avait résigné l’évêché de Verdun, et Henri, marquis de Mouy ». Liénard n’est pas plus explicite : « Ce jeton fut frappé en mémoire de l’union des trois frères, savoir : Charles, évêque de Verdun, François son successeur, et Henri, marquis de Mony (sic, pour Mouy), mort en 1670 ». En fait, ces deux auteurs reprennent à leur compte, sans esprit critique, l’opinion exprimée en 1740 par Dom Calmet à l’égard de ce jeton dans sa Dissertation sur les monnoies, planche 7, n° CXIX (avec dessin à corriger). Citons le savant bénédictin : « Deux crosses liées par un nœud d’amour, ayant au milieu une épée nue la pointe en haut. Ces trois frères ne peuvent être que les trois Princes, fils d’Henri comte de Chaligny, & de Claude de Mouy. Le premier est Charles, qui fut fait Évêque de Verdun par la démission du Prince Erric de Lorraine son oncle, en 1610 & qui ne fut sacré Évêque qu’en cette année 1617. Le second est François de Lorraine-Chaligny, qui succède dans l’Évêché de Verdun à son frère, qui se fit jésuite en 1622. François n’était pas encore évêque mais il était déjà Grand-Prévôt & Doyen de Strasbourg et de Cologne, & possédait apparemment quelque Abbaye, qui lui donnait droit de mettre la Crosse & la Mître dans ses Armes. Il mourut l’onzième Août 1661. Le troisième des frères est Henri de Lorraine Marquis de Mouy, mort en 1670, sans avoir été marié. Il avait pris le parti des Armes, comme le marque l’épée posée en pal entre les deux Crosses ». On peut retenir la majeure partie du propos de Dom Calmet, en excluant sa justification fantaisiste de la présence de la crosse et de la mitre dans les armes de François en 1617. Il est d’ailleurs regrettable que Dom Calmet ne remette pas en cause la date d’émission du jeton en 1617 alors qu’il a bien remarqué que 1617 fut la date du sacre de l’évêque Charles et qu’à cette date personne ne savait que François deviendrait à son tour évêque de Verdun en 1622 et que Henri deviendrait, sous son épiscopat, un important chef de guerre. Remarquons que, pendant les six années où l’évêque Charles sera le successeur intérimaire de son oncle Erric (1611-1617), en attendant d’être sacré évêque, cette situation ne l’empêchera pas de battre monnaie car nous connaissons à son nom, avec le titre d’évêque, des florins d’or et des petits gros d’argent aux millésimes 1612 et 1613. Pour différentes raisons, le jeton qui nous intéresse n’a pas pu être frappé en 1617. À cette date, l’évêché de Verdun possédait un atelier monétaire qui était installé à Dieulouard dans la vallée de la Moselle. Mais cet atelier était alors en chômage2 et il ne pratiquait que la frappe au marteau alors que notre jeton millésimé 1617 est sans conteste le produit d’une frappe mécanique. Le matériel de frappe mécanique ne sera introduit dans l’évêché de Verdun qu’en 1619 lorsque le nouveau maître et graveur Nicolas Marteau l’apportera d’Arches-Charleville pour faire fonctionner un nouvel atelier monétaire verdunois à Mangiennes, Dieulouard étant alors définitivement fermé. Théoriquement, le jeton aurait pu être frappé mécaniquement ailleurs que dans l’évêché de Verdun, à Nancy ou à Paris. Mais en 1617, François et Henri de Lorraine-Chaligny étaient alors trop jeunes et non investis de responsabilités comparables à celles de leur aîné Charles3. François ne sera évêque qu’en 1622 et les charges ecclésiastiques, dont il était pourvu en 1617 ne l’autorisaient pas, contrairement à l’affirmation de Dom Calmet, à mettre la mitre et la crosse dans ses armes ; quant aux abbayes hypothétiques dont il aurait pu être pourvu, selon l’illustre bénédictin, elles sont restées du domaine du virtuel et on est surpris qu’un savant comme Dom Calmet échafaude une telle théorie fantaisiste. Quant au troisième frère Henri, le marquis de Mouy, personne ne pouvait savoir en 1617 qu’il commanderait les troupes de Charles IV en 1633. Le millésime 1617 n’est donc pas celui de l’émission du jeton mais celui d’un événement majeur faisant honneur à la famille de Lorraine-Chaligny. Cet événement majeur, pour les trois frères, me paraît être le sacre de Charles comme évêque de Verdun en 1617. C’est à la suite de cette accession aux hautes fonctions afférentes à cet épiscopat d’empire que François pourra à son tour devenir évêque en 1622 et que le cadet Henri accédera à de hautes responsabilités militaires à la fin des années 1620 et dans les années 16304. Dans ces conditions, je pense que le jeton n’a pas été frappé en 1617 mais une dizaine d’années plus tard lorsque l’évêque François est en conflit ouvert avec la France dans les années 1626-1627 car il s’oppose à la transformation de la protection militaire française en protectorat politique, notamment à l’occasion de la construction de la citadelle de Verdun décidée par Richelieu. François sera obligé de fuir de son évêché et de s’exiler à l’étranger car il est menacé d’arrestation par Richelieu. Foncièrement francophobe, il ira jusqu’à prendre les armes contre la France dans l’armée du duc Charles IV de Lorraine où son frère cadet Henri, marquis de Mouy, est général5. Le jeton prend alors tout son sens et il n’y a plus de contradiction entre le millésime 1617 et l’union postérieure des trois frères. L’évêque de Verdun, en l’occurrence François, ne pouvant plus battre monnaie car Richelieu et Louis XIII s’y opposent, émet ce jeton protestataire à l’égard de la main-mise française envahissant sur l’évêché de Verdun. Les trois Lorraine-Chaligny font alors bloc : l’évêque François, son frère et prédécesseur l’évêque Charles que la France a contraint à la démission, enfin le cadet défenseur des droits lorrains par le glaive contre les prétentions expansionnistes françaises. Ce jeton est ainsi tout un programme d’opposition à la France. Remarquons en outre que ce jeton des trois frères de Lorraine-Chaligny fut, comme beaucoup de jetons lorrains, ducaux ou impériaux, utilisé comme monnaie de substitution, à défaut de vraies monnaies dont la France empêchait la fabrication. L’évêque de Verdun exprime alors son droit de monnayage à travers des jetons. D’où l’existence d’exemplaires en argent et en cuivre, ces derniers souvent usés après avoir beaucoup circulé (fig.2, exemplaire en cuivre). Il convient donc à mon avis de classer désormais ce jeton verdunois, millésime 1617, année du sacre de l’évêque Charles, non plus à l’épiscopat de ce dernier mais à celui de son frère et successeur l’évêque francophobe François (1662-1661). En aucun cas la date de 1617 ne peut être retenue comme date d’émission du jeton mais seulement comme date symbolique6, ce jeton, qui est frappé mécaniquement, étant incontestablement postérieur à l’épiscopat de Charles de Lorraine-Chaligny (1611-1622). J’émets donc l’hypothèse que l’évêque François fit frapper ce jeton à la fin des années 1620, vers 1627 et avant 16297, au moment où son conflit avec la France était à son paroxysme, alors que son frère aîné Charles était encore vivant (il mourra en 1631) et que son frère cadet Henri commençait à connaître la gloire militaire. Toutefois, il a pu aussi être frappé vers 1633 au moment de l’invasion de la Lorraine ducale par la France, l’évêque François prenant alors les armes contre la France sous le commandement de son cousin le duc de Lorraine Charles IV. Cette seconde hypothèse me paraît toutefois moins vraisemblable que la première. Dans l’un ou l’autre cas, le jeton aurait sans doute été frappé à Nancy. Christian CHARLET* BIBLIOGRAPHIE
1- En 1850, François Clouet fut le premier à écrire un ouvrage sur le monnayage de Verdun avant d’être suivi par Robert et Liénard. Il laissa une collection importante de monnaies lorraines vendue au début du XXe siècle sous le nom de Collection Buvignier-Clouet. |
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