Un trésor exceptionnel retrouvé à l'abbaye de Cluny

Un vaste trésor médiéval de plus de 2 200 deniers d’argent, 21 dinars d’or du début du XII^e siècle et divers objets a été découvert par des chercheurs du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) lors d'une campagne de fouilles archéologiques de l’abbaye de Cluny. 

Fondée en fondée 909 ou 910, l'abbaye bénédictine de Cluny fut un centre intellectuel et monastique de premier plan tout au long du Moyen-Âge, connaissant l'apogée de son influence du XI au XIIIe siècle. Elle fut démantelée et détruite à la Révolution après avoir été vendue par la République comme carrière de pierres.

La campagne de fouilles qui s'est déroulée du 11 septembre au 20 octobre 2017 était dirigée par Anne Baud (Maître de Conférences à l’Université Lumière Lyon 2) et Anne Flammin (Ingénieur d’étude en archéologie au CNRS). Elles étaient secondées par une équipe d’étudiants de l’Université Lumière Lyon 2, en collaboration avec des membres de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux (CNRS / Université Lumière Lyon 2).

Alors que les recherches des archéologues portaient sur le site présumé de l'ancienne infirmerie de l'abbaye, les sondages réalisés à la pelle mécanique ont dû être stoppés lorsqu'une étudiante remarqua une pièce dépasser de la stratigraphie. Le programme de recherche sur l’abbaye de Cluny se concentre depuis 2015 à l’étude de l’infirmerie monastique. Celle-ci, mentionnée dans des sources écrites, est également connue à travers des documents tardifs, comme le dénombrement de 1623 et le plan anonyme de l'abbaye datant du début du XVIIIe siècle. Les archéologues sont conscients de la chance qui a été la leur durant cette campagne. En effet, selon Anne Flammin, "le trésor a été trouvé juste en dessous du sol médiéval, qui a été démoli et enlevé au XVIIIe afin de construire la nouvelle abbaye. Les fouilles montrent que les ouvriers avaient arrêté de creuser à seulement dix centimètres de la cache".

Les découvertes réalisées lors de ces recherches ont été dévoilées mardi 14 novembre 2017. Le trésor était rassemblé dans un sac de toile et se compose de la manière suivante :

• un sac en tissu ayant contenu plus de 2200 deniers et oboles en argent, pour la plupart émis par l’abbaye dans la première moitié du XII^e siècle. L'abbaye était en effet autorisée à frapper sa propre monnaie depuis le XIe siècle, mais le monnayage à Cluny ne commença pas avant 1123. Il fut confirmé par un diplôme de 1204. Néanmoins, dès 1239, la frappe monétaire devînt sporadique et fut supprimée avant la fin du XIIIe siècle. L'abbaye avait également eu en fermage au XIe et XIIe siècle l'atelier de Melle.

• une bourse retrouvée dans ce même sac avec 21 dinars musulmans en or frappés entre 1121 à 1131 en Espagne et au Maroc, sous le règne d’Ali Ben Youssef (1106-1143) de la dynastie berbère des Almoravides

• dans cette même bourse se trouvait aussi un anneau sigillaire en or orné d’une intaille antique probablement en cornaline, une feuille d’or repliée contenue dans un étui et un petit objet en or en forme de bouton

L’ordre de Cluny possédant des prieurés dans la partie chrétienne de l'Espagne, les échanges étaient fréquents avec les Andalous, ce qui peut aisément expliquer la présence des 21 dinars en or de ce trésor. La piste d’un don direct des Rois Catholiques d’Espagne est également avancée.

Selon Vincent Borrel, doctorant à l’Aoroc (Archéologie et Philologie d’Orient et d’Occident), chargé d’étudier les monnaies « le trésor devait permettre de se payer entre trois et huit chevaux, l’équivalent d’autant de voitures aujourd’hui. La somme est donc assez élevée pour un individu, mais loin d’être énorme à l’échelle de l’abbaye, puisqu’elle représenterait seulement une semaine d’approvisionnement des moines en vin et en grains ». L’objet le plus précieux du trésor demeure cependant l’anneau sigillaire. Destiné à apposer un sceau, il est difficile en l'état des connaissances actuelles de savoir si l'anneau avait un usage privé ou s'il présentait des fonctions officielles. Si la bague en elle-même semble dater du XII^e siècle, le petit portrait de dieu antique, probablement Apollon,  qui lui sert d’intaille remonte à l’Empire romain.

Bien entendu le côté hétérogène de cette découverte dans un même ensemble clos, de monnaies arabes en or, de plus de 2 000 deniers d’argent et d’un anneau sigillaire pose de multiples questions et les pistes de recherche sont multiples : qui a enterré ce trésor, un moine, un laïc en visite, un dignitaire de l'Église ? pour quelles raisons ? pourquoi n'a t-il jamais été récupérer...Qui sait ? L'abbaye n'ayant visiblement pas encore livrée tous ses secrets, d'autres découvertes viendront peut-être prochainement nous apporter de nouveaux éclairages sur la circulation monétaire des XI et XIIe siècles.

Après étude les monnaies et autres objets devraient être exposés au public sur leur site de l'abbaye.