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« SoNantes », une nouvelle monnaie ! | 14/04/2015 Informations « SoNantes », une nouvelle monnaie complémentaire dans une longue tradition nantaise
Fig. 1 : carte SoNantes
La « SoNantes », monnaie complémentaire nantaise, est désormais lancée. Le projet, initié dès 2006, vient de recevoir l’autorisation de la Banque de France, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ayant finalement convenu que cette monnaie locale ne relevait pas du droit bancaire, et qu’elle ne nécessitait donc pas d’autorisation spécifique. Dès lors, le conseil municipal de Nantes a pu voter son lancement le 19 décembre dernier. C’est une filiale du Crédit municipal, la Sonao, dotée d’un capital de 2 millions d’euros, qui porte le projet. La Sonao jouera le rôle de chambre de compensation pour la SoNantes qui sera une monnaie numérique (fig. 1), sans pièces ni billets. Toutes les informations pratiques sont à retrouver sur : http://sonantes.fr/. Mais, à partir du 28 avril prochain, les futurs utilisateurs de la SoNantes, qui équivaut à un euro, ignorent probablement que par leur geste, ils renouent avec une tradition nantaise déjà ancienne. Par le passé, Nantes a en effet eu recours à des monnaies complémentaires, parfois insolites, que les numismates appellent plus volontiers « monnaies de nécessité ». Fig. 2 : billet de cinq sols de la Caisse patriotique de Nantes, septembre 1791 (Musée Dobrée inv. 58.364)
Durant la Révolution Française, les Nantais voient apparaître des monnaies complémentaires. Comme dans beaucoup d’autres villes, celles-ci prennent la forme de billets locaux. À Nantes, ils sont édités par la Caisse patriotique en mai, juillet, septembre (fig. 2) et novembre 1791. Jacqueline Pilet-Lemière1 en décrit pour les valeurs suivantes : 4, 5, 20, 30, 40 et 60 sols, et même pour la somme de 3 livres, en mai uniquement. Elle signale également de la fausse monnaie locale : un faux bon municipal de 20 sols ! À cette liste, nous pouvons désormais ajouter ce billet inédit de 12 livres, soit un demi-louis d’or, émis par la même Caisse patriotique en juin 1791 (fig. 3). Fig. 3 : billet de douze livres de la Caisse patriotique de Nantes, juin 1791 (Musée Dobrée SNI)
Fig. 4 : bon pour deux sols du Théâtre national de Nantes, vers 1794 (Musée Dobrée SNI)
À la même période, le Théâtre national de Nantes, actuel théâtre Graslin, a également émis des bons ! C’est ce qu’atteste ce spécimen (fig. 4) récemment retrouvé dans les collections du musée Dobrée, document totalement inconnu jusqu’à présent, et unique à notre connaissance. Comme cela arrivait fréquemment à l’époque, celui-ci est imprimé sur une carte à jouer, pour en garantir la valeur, et signé du directeur en fonction à l'époque, Louis Vaucorbeil, dit Ferville2.
Fig. 5 : exemples de monnaies de nécessité nantaises, fin XIXe – début XXe siècle : 5 francs du Café de Paris, jadis situé allée Brancas et 1 franc de la célèbre brasserie de La Cigale, place Graslin (collections privées)
Après les troubles révolutionnaires, la longue période de stabilité monétaire favorisée par le « Franc Germinal » ne connaît aucune émission de monnaie locale à Nantes. On doit cependant signaler, au tournant des XIXème et XXème siècles, quelques billets et d’innombrables pièces de nécessité (fig. 5) et autres jetons publicitaires, dits « prospectus métalliques », édités par divers commerces de la ville. Fig. 6 : bon de un franc de la Chambre de Commerce de Nantes (collection privée)
Fig. 7 : bon de cinquante centimes de la Ville de Nantes (collection privée)
Cependant, il s’agissait là d’initiatives privées. Or la crise monétaire due à la Grande Guerre, qui ébranle l’économie nantaise, comme celle de tout le pays, impose cette fois aux autorités locales d’intervenir directement dans le domaine monétaire. Aussi, comme dans de très nombreuses communes, la Chambre de Commerce de Nantes édite-t-elle des billets, de faibles valeurs - 50 centimes, 1 franc (fig. 6) et 2 francs - pour pallier le manque de petit numéraire de cuivre. En effet, les pièces en cuivre, notamment d’un sou (5 centimes) et de deux sous (10 centimes), sont massivement refondues pour participer à l’effort de guerre sous une autre forme… Parallèlement, la Ville, par le biais de son Crédit municipal, édite des bons (fig. 7) aux mêmes valeurs, ayant avant tout une fonction de « bienfaisance », ou de solidarité, dirait-on aujourd’hui. Tous ces billets ont pour fonction de soutenir l’économie locale en facilitant les transactions quotidiennes. Cependant, fait exceptionnel et proprement nantais, la Chambre de Commerce de Nantes n’émet aucune pièce de monnaie métallique aux valeurs inférieures (5 et 10 centimes notamment) en compléments des billets ! C’est tout simplement parce qu’elle n’en avait pas besoin… Fig. 8 : bon de transport de la Compagnie des tramways de Nantes, vers 1914 (collection privée)
Fig. 9 : bon de transport de la Compagnie des tramways de Nantes, vers 1916 (CGB)
Effectivement, peu avant, la Compagnie des Tramways de Nantes peinait à rendre la monnaie à ses passagers à cause du manque de petit numéraire officiel évoqué précédemment. Pour y porter remède et permettre à ses contrôleurs et caissiers de faire l’appoint, la Compagnie avait édité à ses frais des jetons, dits « bons de transport » (fig. 8). Ceux-ci portaient une valeur, en centimes, à valoir sur un trajet à venir. Or, ces pièces sont immédiatement utilisées par tous les commerces, les habitants et même les administrations de l’agglomération nantaise ! La Compagnie doit en faire frapper tant et plus, et se retrouve contrainte de fournir toute la ville en menue monnaie ! Afin de réaliser des économies d’échelle, elle passe du zinc nickelé à l’aluminium en 1916 (fig. 9). Bien entendu, cette solution temporaire perdure… et se prolonge bien au-delà de la guerre… Certes, l'économie locale en bénéficie, mais aux frais de la Compagnie des Tramways. Ce système, avant tout fondé sur la confiance réciproque, s’écroule brutalement comme un château de cartes au début de l’été 1927. Chacun réclame le remboursement immédiat des « pièces du tram », mais la Compagnie refuse. La crise s’envenime rapidement et la presse ira jusqu'à titrer « N’en jetez plus des jetons » ! Un dénombrement est ordonné. Celui-ci recense 1 398 832 jetons en circulation, pour une valeur totale de 304 134,50 francs ! Leur retrait progressif est alors convenu. Il s’échelonnera jusqu’en 19313. Fig. 10 : avis d’émission des bons départementaux (Archives Municipales de Nantes 6Fi3915)
Fig. 11 : exemples de spécimens de billets de 20 et 50 francs de l’Institut Départemental d’Emission de Loire-Inférieure, juin 1940 (Musée Dobrée 2006.1.3 et 2006.1.4)
Fig. 12 : billet de 100 francs de l’Institut Départemental d’Emission de Loire-Inférieure, juin 1940 (collection privée) Enfin, la dernière monnaie locale nantaise d’importance date du tout début de la Seconde Guerre mondiale. Face à la progression des troupes allemandes, les autorités économiques nantaises craignent de se retrouver coupées de la capitale et des approvisionnements en numéraire officiel. Aussi anticipent-elles ces problèmes par la création d’un Institut Départemental d’Émission de la Loire-Inférieure. Pour préparer la population nantaise à cette nouvelle monnaie, des affiches sont placardées partout dans la ville (fig. 10), et l’Institut édite des spécimens de billets (fig. 11), copies conformes des futures coupures de 5, 10, 20, 50, 100, 500 et 1 000 francs4 devant être mises en circulation le 24 juin 1940 (fig. 12). Or, si l’anticipation est louable, elle fut en l’espèce inutile, car l’avancée éclair de la Wehrmacht n’engendra qu’une très brève interruption des relations entre Paris et Nantes. En effet, la capitale fut prise le 14 juin 1940, et la cité des Ducs de Bretagne dès le 18… Dans ces conditions, les billets de l’Institut Départemental d’Émission de la Loire-Inférieure n’eurent pas même le temps d’être mis en circulation. C’est ce qui explique aujourd’hui cette bizarrerie : les billets oblitérés de la mention « spécimen » sont moins rares que ceux non oblitérés !
Fig. 13 : billet de 5 francs de l’Union économique de Nantes & Banlieue, juin 1943 (collection privée)
Une dernière série de billets, particulièrement rares et mal connus, émis par une obscure « Union économique de Nantes & Banlieue » au début du XXème siècle semble-t-il, paraissent reprendre du service le 12 juin 1943. En effet, les quelques exemplaires retrouvés, aux valeurs de 2 et 5 francs (fig. 13), portent tous un tampon à cette date. Faute de document et de témoignage, nous ne dirons rien de plus sur ces énigmatiques billets. Les émissions de toutes ces monnaies complémentaires se produisent systématiquement en période de crise économique et ont toutes permis de soutenir et de dynamiser le commerce local. Gageons que SoNantes aura autant d’effets bénéfiques sur l’économie nantaise d’aujourd’hui.
Gildas Salaün - Chargé des collections de numismatique, sigillographie, ethnographie africaine et océanienne. Grand patrimoine de Loire-Atlantique
1 Jacqueline Pilet-Lemière et Claude Jigan, Les billets communaux de la France révolutionnaire, Caen, 1989. 2 Il dirige brièvement le Grand Théâtre de Nantes en 1791, puis du 28 février 1793 au 23 floréal an III (12 mai 1795). 3 Pour tout savoir : http://ana.france.free.fr/Catalogue%20expo%20transports.pdf 4 1 franc de 1940 équivaut à 0,37 euro de 2015.
Plusieurs fois par mois, Monsieur Gildas Salaün choisit le blog de CGB.fr pour publier ses découvertes et travaux en numismatique. Nous saluons son goût pour le partage de l'information entre les professionnels de la mise en valeur du patrimoine et les collectionneurs. Retrouvez toutes les monnaies de nécessités de Nantes en cliquant ici. Par ailleurs, retrouvez quelques ouvrages qui vous permettront d'approfondir les monnaies de nécessité via la sélection ci-dessous :
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