Les Écus constitutionnels, un monnayage au cœur de la Révolution

Ce livre traite de celle qui est sans doute la monnaie la plus emblématique de la Révolution Française : l'écu constitutionnel à l'effigie de Louis XVI. 

Une tragique Histoire

Le 7 juillet 1789, l'Assemblée Nationale prend le nom de constituante et le roi accepte la constitution le 13 septembre 1791. La loi du 9 avril 1791 crée l'écu de six livres français. Mais la priorité est donnée à la création des monnaies de 15 et 30 sols et il faudra attendre le mois d'avril 1792 pour que la production commence. Ces écus ont donc été frappés du 15 avril 1792 au 15 mai 1793. Paradoxalement, la production de ces monnaies à l'effigie de Louis XVI commence alors que la position du roi est plus que précaire. La fuite du souverain suivi de son arrestation à Varennes les 20 et 21 juin 1791 a rompu le lien de confiance tissé entre Louis XVI et son peuple. Alors que la France est confrontée aux problèmes économiques et à la menace exercée par les armées étrangères, le roi se retrouve reclus dans le Palais des Tuileries. La journée du 10 août 1792 qui voit les insurgés parisiens prendre le palais et y massacrer gardes-suisses et domestiques met fin aux illusions d'une monarchie constitutionnelle. Louis XVI et sa famille sont de fait prisonniers à la Maison du Temple. Le 21 septembre 1792, galvanisée par la victoire des armées françaises à Valmy, l'Assemblée Nationale rebaptisée Convention Nationale abolit la monarchie. Dès octobre une commission est créée pour savoir si le roi doit être jugé. Le procès a lieu du 10 au 26 décembre 1792 devant les députés de la Convention Nationale. Le 17 janvier 1792, Louis XVI est déclaré coupable et condamné à être exécuté.  Le 21 janvier 1793, le roi Louis XVI est guillotiné. Tout aussi paradoxalement, on continue à produire des écus à l'effigie de Louis XVI jusqu'au mois de mai 1793, soit sept mois après l'abolition de la monarchie et quatre mois après l'exécution du souverain.

30 ans après la Collection Sobin, la Collection Slawson

Fort étonnamment, notre connaissance approfondie des écus constitutionnels provient essentiellement des travaux de deux collectionneurs américains. Le premier George Sobin Jr est un grand collectionneur de monnaies d'argent royales françaises. Son ouvrage "The silver crowns of France, 1641 - 1973" reste une référence dans le domaine. Publié en 1974, son étude statistique portait sur plus de 28.000 écus de la période 1641-1794 et il y relevait environ 2.000 années et millésimes. Le second est Donald Slawson, infatigable dénicheur et collectionneur d'écus constitutionnels français. S'il a pu constituer une collection riche de plus de 400 écus différents, il en a rencontré plus de 1.900 différents.

C'est à partir de ces deux grands contributeurs que l'auteur, Philippe Bouchet, a effectué son immense travail.

Un travail remarquable mais une méthodologie inaboutie

De cette fabrication portant sur un total de près de 11 millions d'écus, il en a recensé pas moins de 3.500 exemplaires ce qui lui a permis de définir 34 monnaies d'atelier différentes, 21 variétés et 924 variantes. Cependant, je suis dans le regret d'émettre des réserves quant à la méthodologie employée. Certes, la méthode empirique adoptée par monsieur Bouchet n'est pas mauvaise car elle consiste à répertorier, observer et classifier les monnaies existantes et à en tirer des conclusions. Cependant, même s'il s'appuie sur les précédents travaux d'éminents numismates, il néglige hélas l'exploitation des archives. Les ateliers et l'administration des monnaies ont alimenté des fonds d'archives forts intéressants : registres d'ateliers, bordereaux d'envois de coin, chiffres de délivrance... De plus comme l'évoque lui-même l'auteur, l'administration centrale était alors fort soupçonneuse quant à l'honnêteté de ses directeurs d'atelier et a donc dépêché des commissaires qui eux-même ont produit des rapports résultant de leurs enquêtes et observations. Nul doute que la confrontation de l'histoire officielle issue des archives et les observations résultant de l'étude empirique des monnaies aurait sans doute permis de confirmer ou d'infirmer certaines théories émises par l'auteur. Par ailleurs, l'auteur échafaude des hypothèses sur certaines ramifications maçonniques oubliant qu'au XVIIIe siècle corporations, compagnonnage et franc-maçonnerie structuraient aussi une société longtemps corseté par l'absolutisme et le clergé.

Le livre en pratique

Si le travail de recensement est remarquable et très fouillé, dans la continuité de ce l'auteur avait fait sur les monnerons ("Les Monnerons, histoire d'un monnayage"), on peut que regretter l'absence d'approche didactique, c'est à dire la démarche inverse qui permet à un collectionneur disposant d'un écu constitution en main de classer facilement sa monnaie.

Cependant, l'ouvrage est très largement illustré avec de très nombreux grossissements fort utiles. Les écus surfrappés ne sont pas oubliés et enfin, une grille de cotations actualisée complète le livre.

Ce nouvel ouvrage de Philipe Bouchet viendra compléter utilement une bibliographie encore trop lacunaire sur les monnayages révolutionnaires dont l'étude réserve encore de très nombreuses surprises.

Les écus constitutionnels par Philippe Bouchet (éditions Patrick Guillard), Paris 2014, (14,5 x 21cm), 281 pages, illustrations en couleur, monnaies photographiées en couleur - 39 €