La soi-disant médaille du voyageur

M. François Lhermite, secrétaire de la Société Numismatique du Limousin, nous a fait part début juin 2018 de ces réflexions concernant les médailles que nous vendons depuis des années sur www.cgb.fr sous la dénomination médaille de voyageur.

Dans votre Bulletin Numismatique, que je suis très heureux de lire régulièrement, vous demandez de vous signaler les erreurs que vous pouvez faire. Et depuis longtemps j'ai envie de vous signaler une erreur (qui est générale) qui m'agace. Il s'agit de la médaille dite « du voyageur » dont on trouve encore un exemplaire dans votre dernière liste de médaille.

Une médaille pour le pèlerinage de Saint-Jacques ?

Il y a plus de dix ans que je vois cette médaille appelée ainsi. Il en existe des quantités d'exemplaires avec des gravures différentes, dans des métaux différents, de tailles et de formes différentes, mais toujours représentant la même chose et avec toujours les mêmes légendes. La première fois que j'ai vu cette médaille appelée ainsi (Médaille du voyageur), ce n'était pas sur le site de CGB. Celui qui la décrivait alors précisait qu''on les retrouvait sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, et que le voyage auquel se référait la médaille était autrefois surtout le pèlerinage de Saint-Jacques.

Puis les explications et descriptions s'étoffèrent petit à petit. La médaille était alors décrite le plus souvent ainsi : à l'avers Saint Georges (la médaille protégeant alors le voyageur terrestre), et au revers un bateau en perdition avec la légende In Tempestate Securitas (la médaille protégeant alors le voyageur sur voie maritime).

Puis on s'est aperçu que Saint Jacques de Compostelle était en fait Saint Jacques le Majeur, un des douze apôtres, frère aîné de saint Jean l'Evangéliste. Saint Jacques, après la Pentecôte, partit évangéliser l'Espagne. Puis étant revenu en Palestine, il y fut martyrisé et décapité. La légende indique qu'ensuite son corps fut ramené par bateau jusqu'au nord-ouest de la péninsule Ibérique. Sur les restes de sa prétendue tombe fut ensuite construit le sanctuaire de Saint-Jacques-de-Compostelle. Donc ce revers représenterait le retour du corps de saint Jacques vers l'Espagne.

De notre côté la description que nous donnions de cette médaille sur notre site www.cgb.fr allait elle aussi dans ce sens : du temps ou ni train, ni voiture ni avion n’existaient, on ne pouvait voyager que de deux manières que protègent les deux côtés de ce jeton médaille. Par Saint Georges, patron des chevaliers, c’est le voyage à cheval qui est protégé, et par Saint Jacques, grand navigateur, protecteur des navires, c’est le voyage maritime. Saint Georges était le protecteur des voyageurs et des pèlerins, notamment de ceux qui se rendaient vers Saint-Jacques de Compostelle. Nous rajoutions par ailleurs que l'on pourrait considérer cette médaille comme l’équivalent pré-révolutionnaire des médailles de Saint Christophe que l’on trouve parfois dans les taxis et qui protègent les conducteurs et passagers. Aux styles, nous pensions qu’elle fut fabriquée entre le XVIe et le tout début du XXe siècle.

Une médaille de soldats !

M.Lhermite nous a rappelle fort justement que nous avions tort...En voici la démonstration :

Saint Georges n'a jamais été le saint patron des voyageurs. Tout le monde sait pourtant que ce patron est saint Christophe. Saint Georges est avant tout le saint patron des chevaliers. Par extension, il est aussi celui des cavaliers. Il faut noter que ces deux mots ont la même signification étymologique. Mais il y a dans "chevalier" une dimension qu'il n'y a pas dans "cavalier". Le chevalier est un homme de guerre, et donc saint Georges est aussi par extension le saint patron des soldats, des militaires... Et cette médaille est une médaille de soldats.

Selon le récit légendaire saint Georges était un officier, chrétien, de l’armée romaine. Vers 300 de notre ère, en Libye, un dragon terrorise les habitants d’une ville (Silène ?). Pour se garantir de sa mortelle haleine, les habitants devaient lui apporter chaque jour deux brebis à dévorer, mais il advint rapidement que les brebis vinrent à manquer et que l'on fut obligé de lui donner d'abord les garçons, puis les filles. Un jour, il ne resta plus que la fille du roi. Georges qui passait par là et la voyant pleurer, lui demanda ce qu'elle avait. Pendant qu'ils parlaient, le dragon s'approcha. Georges saute de son cheval, recommande son âme à Dieu, et court sur le dragon qu'il perce de sa lance.On peut remarquer que très souvent, en bas à droite à l'avers, se trouve une toute petite princesse en prière.

Quant au revers, il montre un bateau en perdition avec à bord trois personnages (sur quelques grandes médailles il peut y en avoir 4 ou 5), mais toujours un personnage levant les bras et faisant comprendre que tout est perdu, un deuxième qui se penche sur le troisième couché. Ce troisième personnage a des rayons qui entourent sa tête. Les saints ont des auréoles, les représentations de têtes radiées sont réservées à Dieu le Père, ou à Jésus (ou à la colombe représentant le Saint Esprit) et quelquefois, très rarement, à la vierge Marie.

Ce qui est montré sur ce revers est tiré d'un épisode de l'Evangile, connu sous le nom de « La tempête apaisée ». Jésus avait prêché sur les bords du lac de Tibériade et avait enflammé la foule qui voulait le proclamer roi et marcher derrière lui pour chasser les romains de Palestine. Pour échapper à cette foule en délire, Jésus demande à saint Pierre de le prendre sur sa barque et de l'amener sur la rive opposée du lac. Mais étant arrivés au milieu du lac, une brutale et violente tempête menace terriblement l'embarcation (ce qui est fréquent : le lac de Tibériade, la vallée du Jourdain et la mer Morte se trouvent dans une vallée nord-sud qui est une faille de l'écorce terrestre, les différences de température qui peuvent se produire entre le nord et le sud, créent souvent brutalement des vents violents qui s'engouffrent dans cette vallée). Jésus, peut-être fatigué, bercé par le roulis, s'endormi. Pierre vient le réveiller en disant : « Maître, fais quelque chose car nous allons périr dans cette tempête. » Et Jésus lui répond : « Pierre, de quoi as-tu peur ? Vous ne risquez rien, puisque je suis avec vous ». Et c'est la signification de ce revers : vous ne risquez rien dans la tempête, c'est-à-dire dans la guerre, dans la bataille, si je suis avec vous, si votre cause est juste (et au pire si vous mourez, vous irez tout droit au paradis).

Il semblerait que les plus anciennes de ces médailles datent de la première moitié du XVIIe, et seraient apparues en Allemagne. Elles dateraient donc de la Guerre de Trente Ans, véritable guerre de religion qui déchira l'Europe de 1618 à 1648.

Rien à voir donc avec les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle...Et erreur corrigée ! Ne reste donc plus qu'à trouver un nouveau nom pour ces médailles !