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Interview de Monsieur Abdo Ayoub sur Cgb.fr

| 02/02/2016
Informations

Abdo Ayoub : le plus grand collectionneur au monde de billets du Liban


Comment êtes-vous devenu numismate ?

J’aimerais tout d’abord attirer l’attention sur le fait qu’on ne devient pas numismate, on naît numismate.

Depuis mon plus jeune âge, je me sentais avoir l’âme d’un collectionneur. J’avais toujours ce besoin vital de commencer une collection. En effet, je n’avais que 9 ans lorsque je me suis mis à collectionner tous les numéros du journal « Tintin », une revue hebdomadaire qui a meublé ma jeunesse. Je notais précieusement sur un calepin les titres des histoires qui y figuraient afin d’y revenir plus tard en cas de besoin.

A 15 ans, je commençais à m’intéresser à la philatélie. C’était pendant mon temps libre qui se faisait de plus en plus récurrent, suite à la guerre civile qui a ravagé le pays, que j’ai renforcé ma collection en la rendant plus solide et plus compète.

En 1984, la numismatique m’intéressa, et ce fut là ma plus grande passion. Pourquoi ? Eh bien, parce que ce domaine ne m’a pas uniquement permis de reconstituer les archives du billet libanais mais il a également réveillé en moi l’âme du chercheur, celui qui est prêt à aller très loin dans l’histoire de son pays.

 

Quelle est selon vous la définition du collectionneur ?

Le collectionneur est une personne qui se suffit à elle-même, et qui, une fois atteinte du virus, met difficilement fin à sa passion. Quoi qu’il collectionne, ceci est surtout une initiative personnelle, un loisir qui se développe et grandit avec la personne et ses centres d’intérêt. Un collectionneur est une personne qui se retrouve dans son propre monde tous les jours, donnant vie à ses propres objets qui peuvent parfois être sa seule et unique compagnie.


Pensez-vous qu'il existe différents niveaux de collection, différentes catégories de collectionneurs ?

Je trouve qu’on peut classer les collectionneurs en 4 catégories :

  • Les collectionneurs du Beau : ce sont les collectionneurs artistes qui rassemblent tableau après tableau et toile après toile.
  • Les collectionneurs investisseurs : ce sont ceux qui attendent le moment opportun pour vendre leurs collections avec des « plus-values ».
  • Les collectionneurs chercheurs : ce sont ceux qui s’approfondissent dans leurs recherches et qui essaient d’aller plus loin dans les articles qui n’ont pas été encore trouvés (ce qui est mon cas).
  • Les collectionneurs chaotiques : ce sont ceux qui, malheureusement, gardent tout ce qu’ils trouvent sous la main sans trop savoir pourquoi.


Au fond, y a-t-il une différence entre le collectionneur enfant, que nous avons tous été, et le collectionneur adulte ?

Bien sûr qu’il y a une différence. Cela va de soi.

Le collectionneur enfant, de par sa spontanéité et son émerveillement à la découverte du monde, s’ouvre à tout ce que la vie peut lui donner. Alors que le collectionneur adulte, ayant déjà acquis une certaine expérience dans la matière, essaie de se spécialiser dans ses recherches : il commence à réfléchir et tente de choisir un des 4 chemins qui s’offrent à lui. S’il a la bonne intuition de cibler un thème, je dirais qu’il est sauvé et qu’il pourra aller loin dans ce qu’il entreprend. Sinon, c’est la grande confusion qui fera qu’il abandonnera très vite n’arrivant pas à tout maîtriser.

 

Collectionnez-vous avec le même entrain qu'au début de votre collection ?

Au début, on est atteint par le zèle du néophyte. On pense pouvoir tout collectionner sans mettre de frein à son entrain mais avec le temps et l’âge, on est frappé par la réalité des choses. C’est là que l’on devient sage et que l’on se rend compte que l’on ne peut tout embrasser et réussir. Ce qui nous laisse continuer et persévérer, c’est surtout l’amour qu’on a envers nos collections. C’est la raison pour laquelle on est continuellement motivé.

 

Avez-vous un objectif en numismatique ?

Mon objectif a été la reconstitution des archives du billet libanais inexistant en cette époque. En 2004, lors de la sortie de mon ouvrage intitulé La Monnaie du Liban, une grande partie de mon objectif a été atteint puisque j’ai pu déchiffrer plusieurs pistes dans l’histoire du billet libanais. Aujourd’hui, cet objectif continue à être présent dans ma vie : dans les nouvelles émissions, il y a toujours des éléments non élucidés. Par exemple, les billets de remplacement, les numéros à faible tirage, que le collectionneur amateur ou semi-professionnel ne peut déceler... Mon plaisir et aussi mon devoir, c’est de les mettre sur la voie.

 

Cet objectif a-t-il évolué au fil des années ?

Oui bien sûr. Après avoir terminé ce travail, qui est en d’autres termes « la reconstitution des archives du billet libanais», mon but a été d’intéresser le plus grand nombre de jeunes à cette passion, d’où ma nouvelle idée de créer des livrets qui non seulement permettront aux collectionneurs d’y insérer leurs propres billets mais également de rassembler des informations et des détails techniques sur la monnaie de l’époque. En joignant l’utile à l’agréable, et en étant eux-mêmes impliqués à remplir leurs livrets, je trouve que ceci encouragera nos jeunes à vouloir connaître davantage leur propre monnaie et au-delà l’histoire de leur propre pays car je crois et suis même convaincu que la monnaie conduit à mieux connaître son identité.


Pourquoi avoir décidé d'écrire l'ouvrage sur les billets du Liban ?

En fait, écrire cet ouvrage n’a été ni ma décision ni mon initiative mais celle d’un ami de classe à qui je montrais par hasard ma collection et qui me lança très spontanément: « C’est dommage, c’est bien dommage de garder tout ce patrimoine pour soi, il faut absolument le diffuser.» Et comme il s’agissait de Gérard Dahan qui était éditeur de profession, détenant la maison d’édition Aleph, ce fut donc lui qui m’encouragea fortement à franchir le cap, à parrainer cet ouvrage qui d’ailleurs vit le jour chez lui.

 

L'aspect investissement est-il important à vos yeux ?

Il y a bien sûr, toujours, un aspect investissement déclaré ou caché chez n’importe quel collectionneur. Le côté investissement, chez moi, ne vient pas en priorité, car à mon sens il y a différents degrés d’investissement, celui qui va de l’investisseur qui veut récolter les fruits de son bien avant de l’avoir acquis – c’est le commerce par excellence – jusqu’au collectionneur qui aimerait un jour offrir sa collection à un musée. Personnellement, je me situe beaucoup plus du côté collectionneur mécène. (Mais pour cela, il faut avoir les moyens). Je dirais aussi que l’aspect investissement chez moi est une vision à très long terme. Ce n’est qu’après avoir senti que j’ai atteint une limite, que je penserais mettre mes billets sur le marché.


Collectionnez-vous uniquement les billets du Liban ?

Ma nature qui me pousse à aller en profondeur dans chaque chose que j’entreprends m’empêche de collectionner des billets étrangers. Seul le billet syrien de 1919 à 1939 fait partie de ma collection, vu que les billets de ces deux pays ont été rattachés sous le mandat français. Ne sommes-nous pas passés par la Banque de Syrie, par la Banque de Syrie et du Grand-Liban, par la Banque de Syrie et du Liban, avant d’arriver à la Banque du Liban ? Il est impensable pour moi de collectionner d’autres billets car j’arrive à peine à m’en sortir avec le billet libanais.


Faites-vous encore des découvertes ?

Durant 20 ans, plus précisément de 1992 à 2012, les découvertes étaient très rares. En effet, depuis 2004 – date de la parution de mon livre – jusqu’en 2012, soit sur une période de 8 ans, il n’y a pratiquement pas eu d’évolution et rien n’est venu s’ajouter à l’état de trouvailles de billets rares indiqués dans mon livre. Ce n’est qu’à partir de 2013 que nous avons soudainement assisté à 3 découvertes importantes. Quelle en est la raison ? Je dirais qu’elle provient des destructions d’au moins 30% de l’habitation en Syrie suite à la guerre civile dévastatrice. De là, ont pu jaillir des billets qui n’auraient jamais vu le jour en temps normal.

 

La découverte la plus marquante ?

Mises à part les trouvailles faites en Syrie, une vente aux enchères de 9 billets de 1925 – billets indiqués comme étant très rares dans mon livre – a eu lieu en 2012 en Israël. L’explication qui m’avait été donnée est la suivante : c’est un courrier parti de Beyrouth dans les années 1930 vers Tel Aviv. A cette époque-là, l’état d’Israël n’avait pas encore été créé ; le courrier cheminait alors normalement entre ces deux capitales, toutes deux à la pointe du progrès en commerce. Ce courrier perdu par son destinataire décédé a été retrouvé par ses petites filles 80 ans plus tard.

 

Avez-vous déjà vendu des billets de votre collection ? Ou-êtes-vous un collectionneur qui conserve méticuleusement ses doubles, triples ... ?

Je suis un collectionneur qui conserve méticuleusement ses doubles et ses triples. Ayant eu besoin de financer mes nouvelles études sur les billets de loterie du Liban, domaine encore vierge et très intéressant, je me suis mis très récemment à vendre quelques billets là où je possède plus de 2 exemplaires.


Au regard de l'ampleur de votre collection, dans quel état d'esprit êtes-vous ?

Une question qui n’est pas très évidente et qui me pousse à réfléchir. A priori, je dirais que lorsque je contemple tout ce qu’il me reste encore à classer dans ma bibliothèque, je me sens envahi par une certaine peur : je me rends compte qu’il me faut encore au moins 25 ans. Aurais-je le temps de tout classer ? Pour être réaliste, je ne crois pas que le temps soit aussi généreux envers moi…

A un autre niveau, je suis aujourd’hui fier de ce que j’ai accompli et de tout le savoir acquis durant ces années. C’est ma petite victoire personnelle.

 

Aujourd'hui, comment pensez-vous votre collection ?

Cela fait quand même 30 ans que je collectionne timbres et billets. Je n’ai jamais pensé que ceci pourrait être une source de revenus un jour. Tout a commencé d’une manière assez chaotique et irréfléchie. Mais maintenant que j’y vois plus clair, je réalise que c’est une source de revenus importante que je me dois d’exploiter de mon vivant vu que jusqu’à nouvel ordre je n’ai pas autour de moi des personnes qui pourraient être intéressées par tout ce que je lèguerai plus tard. D’où l’idée de ces livrets qui m’est venue un beau jour et qui sera pour sûr une ouverture pour tant d’autres qui suivront je l’espère. Partager son savoir et ses connaissances, je ne vois rien d’autre qui soit plus satisfaisant pour un individu.

 

Quelle est votre vision de l'avenir concernant l'acte de collectionner des billets ? Que pensez-vous du marché du billet libanais ?

La plupart des jeunes sont trop pris par le monde virtuel d’une part, c.à.d. internet et autres et se désintéressent de commencer une collection. D’autre part, c’est ce même monde virtuel qui a ouvert l’univers sans frontières du e-business. Sur ce, l’avenir est plus à la portée des amateurs et facilite plus la recherche du collectionneur.

Pour revenir au marché libanais, c’est un domaine très intéressant et, pour celui qui a mes connaissances et qui veut les faire partager aux professionnels et aux amateurs avertis, le champ est très vaste. C’est une source inépuisable. J’espère réussir à transmettre ma passion. J’espère également que l’avenir me donnera raison.

 

Est-ce que le marché du billet Libanais est influencé par les événements politiques de la région ?

Il est clair qu’au Liban, le marché est très restreint et assez influençable. Etant un petit pays, tout est amplifié : en temps de prospérité, les prix des terrains, des appartements, des actions en bourses et des collections de billets s’affolent et vice versa. En temps de crise économique, le prix des billets chute vertigineusement. Rien qu’à voir l’évolution, ces derniers temps, du prix du billet de 100L (1945), un des plus beaux billets du monde, en couverture sur mon livre et décrit à l’intérieur à la page 185. Il y a 5 ans, les collectionneurs se l’arrachaient à 14 000 euros. Aujourd’hui, ce billet peut se trouver à 7 000 euros.


Est-ce que la fabrication par la Banque de France des anciennes émissions du Liban a influencé votre envie de collectionner ?

Pas vraiment. Mon tempérament de chercheur fait fi de la beauté des billets. C’est plutôt les tirages, les numéros spéciaux, les billets de remplacement, les préfixes doubles etc. qui me charment. Ceci dit, au Liban, pour moi comme pour mon entourage, les billets de la Banque de France restent unanimement les plus beaux jamais émis, surtout durant la période du début du XXe siècle jusqu’en 1950.


Et si vous deviez conserver qu'un seul billet de votre collection... lequel choisiriez-vous ?

La réponse évidente serait le billet de 250L (1939) émis par la Banque de France. Tellement populaire et tellement demandé que pour moi il a perdu son charme. Je pencherai plutôt vers le billet de la même série de 50L (1939) qui aujourd’hui n’existe qu’à un seul exemplaire.

 

La chose la plus insolite pour obtenir un billet pour votre collection ?

Je suis un collectionneur qui accumule les préfixes des billets qui ne sont pas rares. Par exemple, pour avoir la collection complète du billet de 1L (1964) il faut avoir 324 billets différents. Jusqu’à aujourd’hui il m’en manque 5. Alors pour obtenir un numéro que je n’ai pas, je suis disposé à donner en face dix billets de ce même genre dans une qualité « uncirculated » en plus d’un dédommagement en espèces et s’il le faut encore de billets plus cotés. Tout dépendra de l’avidité du vendeur.

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Claire Vandervinck - claire@cgb.fr
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